Maher Shalal Hash Baz bouillonne et fermente de manière explosive dans un live entre amis et pour des amis en 2017, avec un rehaut de deux titres enregistrés à la maison, sans doute parce qu’il reste de la place sur la galette.
C’est pas beau de vieillir. Je me souviens vaguement de la sortie de ce disque CD-R mais sans en être tout à fait sûr. Il était question, je crois, d’un concert pour fêter une mise en bouteille d’une boisson alcoolisée quelconque. Est-ce celle du vin pour lequel Namio Kudo, fils de Tori et Reiko, avait fait le design ?
Je me souviens m’être résolu à ne pas commander le disque mais avoir été tenté de le remplacer par l’achat d’une bouteille. J’avais été finalement raisonnable…. Il était question de me sevrer de ma Kudoïte et de ne plus céder aux CD-R… C’était une autre époque. Je crois me souvenir que l’événement était organisé par Yamabato Design Collective qui fut un peu le supermarché de Kudo avant Archeion aujourd’hui. Yamabato Design Collective avait une page Facebook et publiait régulièrement un statut mis à jour avec les dernières kudoseries disponibles. C’était pas très pratique mais ça fonctionnait. Archeion aujourd’hui a un beau site… mais il faut lire le japonais.
Ce disque se compose d’un enregistrement de concert à Kai, Yamanashi, 21 octobre 2017, et de deux ajouts enregistrés à la maison, 2 aout 2017.
Le concert est surtout un document d’une soirée à l’atmosphère joyeuse et un peu bordélique pour ne pas dire dionysiaque : pas mal de cuivres (avec une trompette bien en vue et assez bavarde), un métallophone en fond avec un piano idoine. Et toujours cette basse électrique qui se distingue. On notera aussi une batterie joueuse sur laquelle on jette des trucs (Mer du Nord).
Autre point, on trouve ici des chansons plus ouvertement rock qui tranchent avec la dynamique à la Scratch Orchestra de Cardew du début des années 2000 et s’éloignent aussi des poperies séduisantes parues il fut un temps sur le label Geographic des Pastels. Est-ce un retour à un radicalisme punk des premières années ? Ou un nouveau rebattage de cartes ? Car on sait que le Kudo aime tester et surtout déstabiliser, sortir de toute zone de confiance.
Et puis, plus étonnant, on trouve ce qu’on pourrait être tenter d’appeler un japonisme avec des chansons rituelles ou populaires de l’archipel, réinterprétées dans le grand fait-tout du Kudisme. Un album très hermétique dans son écoute (beaucoup de chant en japonais) mais, par un effet de contrepoint, des titres compréhensibles car en grande partie en français. Pour perdre les Japonais, donc. Et surtout, il me semble, des arrangements/erreurs avec les traductions pour transmettre et révéler un supplément de poésie. J’ai vu est une chanson, presque un rituel japonais. Est-ce sur la région d’Isumo ?
On aime L’automne dernier, Mer du Nord (sur un poème de Chuya Nakahara, 1907-1937, connu aussi pour être le traducteur nippon de Rimbaud), Ferry ou encore, D’un été un autre été, Une Egypte à une autre Egypte tiré des plus beaux albums de Maher.
Il faut rendre à César ce qui est à César. On doit aux Pastels (et leur label Geographic) le superbe « Blues du Jour », aux Tenniscoats la meilleure période musicale de Maher, à K Records le non moins superbe « L’autre Cap » et à McCloud Zicmuse, le fabuleux « C’est la Dernière Chanson », enregistré au studio français de Chaudelande. On ergotera comme on veut avec les spécialistes (et avec plaisir) de la chose Kudienne mais cet album reste comme le dernier phare d’un archipel pas mal encombré. Et je crois qu’avec cet album on est dans un belle balance entre exigences esthétiques et joie pop.
Si j’avais un pistolet fait partie des chansons étranges de Kudo, qui prennent un relief particulier aujourd’hui… « If I had a gun someone hit me. I will hit someone. If I had a gun”. C’est aussi l’occasion d’entendre des voix américaines dans le public ou des Japonais jouant au public américain, ce qui est tout aussi plausible ?
Sur Mai danse, on entend une voix féminine. Et des Rires. Encore une batterie un peu brutale et qui évite les peaux et les cymbales pour jouer sur les bords (ou d’autres). On remarque qu’un micro est peut-être posé pas loin. La guitare est destroy comme il se doit sur ce titre qui cavalcade avec la basse et, ici, les battements de mains.
Ai-Ai Gomteila (d’Akira Ifukube 1914-2006, compositeur contemporain dans la lignée de Takemitsu et plus connu pour ses bandes-son pour Godzilla et quelques films de Naruse) a la même introduction féminine que le titre précédent. On pense à un écho de J’ai vu, avec ce qui semble être un chant rituel de célébration (de la fermentation) ? En tout cas, un très beau titre a capella, avec un clavier approximatif (Tori ?) et battement de mains. L’ambiance est chaude….
Emeute de Mizonobe est encore un titre ouvertement politique chanté par Tori, bien qu’il nous apparaisse, à nous, occidentaux dégénérés, comme un chant traditionnel mais dans une atmosphère punk, avec cris du public ou des participants, crotale et éruptions de cuivres tordus.
Moromi to the Morrow est une pop lente et lourde en japonais. On distingue des bruits aqueux (paille dans du liquide près d’un micro ?). C’est un film noir, un ascenseur pour l’échafaud japonais avec Tori en free style et toujours cette batterie métallique. Donc un concert assez déjanté et ouvert à divers vents.
Pour finir la galette, deux clôtures plutôt rock, enregistrées à la maison le 2 aout 2017 :
Il pleut sur ma queue coupée est comme une nouvelle manière de Kudo, une chanson qui doit beaucoup au Velvet mais prend surtout des teintes presque Doorsiennes. Ce qui ne manque pas d’étonner. « It rains on my cut tail ? » annone et hurle Tori, entre deux couplets en japonais-voix blanche et éraillée comme il se doit. La chanson est tirée de son « Unify My Heart » (2004).
Enfin : La réalité de l’œil coupe. Un chien andalou passe, on l’aura compris… et il peut prendre la forme d’une guitare solo suraiguë, très métallique pour une chanson très rock.
Une capture d’une incarnation joyeuse de Maher Shalal Hash Baz, un soir d’ivresse et deux bonus de Tori à la maison : deux faces d’une même personnalité créatrice, forcément seule, forcément entourée. C’est un instantané et un portrait du petit monde de Tori.
Avec l’aide de Johanna D, correctrice aux fourmis dans la main.
« Musique après la fin de la fermentation » est sorti en CD-R et numérique le 9 mars 2021.