L’envers du décor du business de la musique : la vie passionnante de l’attaché de presse, petite main indispensable, surtout lorsqu’elle est, avant tout, celle d’un fan éperdu, encore tout étonné de se retrouver de l’autre côté du miroir aux alouettes. Une tranche de vie gorgée de bière tiède et parfumée de tabac froid, de journées-téléphone et d’attente dans des lieux improbables en compagnie du meilleur et quelquefois du pire.
Emmanuel Plane est un garçon formidable. Et avant de le compter parmi mes amis, j’étais surtout fan de Philippe Dumez, le passionné passionnant fanzineur au long cours, l’ubiquiste des salles de concerts. Philippe Dumez, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, est tout simplement le Philippe Manœuvre (de proximité) de notre époque. Je chéris ses publications en papier photocopié comme ses grandes œuvres et recommande à tout mélomane, à défaut d’avoir accès à ses micro-éditions, “39 ans et demi pour tous” (aux éditions Inmybed) et sa réédition (amputations/améliorations) “Basse fidélité” (le Mot et le Reste).
J’ai été témoin, avant d’avoir le fin mot de l’histoire, de rencontres croisées totalement perturbantes, avec des gens l’appelant tantôt Emmanuel et tantôt Philippe. Il est vrai que dans les salles de concert, on s’entend mal.
C’est que Philippe Dumez, l’auteur/blogueur/fanziniste/touche-à-tout, tenait, la nuit, à son anonymat et à se dissocier d’Emmanuel Plane, attaché de presse pour Labels le jour. Et c’est assez beau qu’il ait pu continuer à mener ses deux activités de front, là où d’autres parvenus, enfin, auraient lâché la passion pour la carrière. Le garçon est entier, un peu secret aussi et tenait farouchement à son indépendance.
Je ris encore du fait que l’auteur dont j’étais fan, la nuit, m’envoyait aussi, le jour, sans que je le sache, comme attaché de presse, des colis de CD à la radio associative non pas de Bécon-les-Bruyères (ni de Fouquières-lès-Lens) mais d’Evreux, Principe Actif.
Comme l’auteur du Chien de Guy Man… le raconte, on recevait effectivement non seulement ce qu’on avait demandé mais aussi tout un tas d’autres choses, souvent plus passionnantes que ce que la chronique de Magic nous avait poussés à réclamer. Je me rappelle aussi son écriture très particulière, artiste mais difficile à déchiffrer, tout l’opposé de celle, déliée et tout à fait lisible, qui figurait sur ses fanzines. Dumez ne pouvait donc pas être Plane. Cette double identité était une légende urbaine.
C’est mon ami webziniste de la première heure qui a eu la puce à l’oreille au sujet de partages de fichiers de Diabologum (la générosité du gars est légendaire) mais il a fallu que je déniaise (très tardivement) un ponte de Radio Campus Paris, qui n’y avait vu que du feu pendant des années. Philippe Dumez/Emmanuel Plane, c’était l’attaché de presse qui nous voulait du bien.
Emmanuel Plane est aussi un homme qui cloisonne mais qui, aujourd’hui, déclassifie ses dossiers pour le bonheur de la multitude. Comme toujours, il le fait avec élégance et tait certains noms (qu’on retrouvera plus ou moins facilement) et se montre, une fois de plus, tel qu’il est, passionné jusqu’au-boutiste. Plein d’humour et de remords aussi (Vic Chesnutt…).
Outre le recueil savoureux d’anecdotes du plus beau métier du monde, J’ai promené le chien de Guy Man (et autres histoires édifiantes) est surtout une étude du petit monde de la dernière grande époque musicale de notre temps, et dont le sous-sous-titre pourrait être “Grandeur et décadence d’un petit commerce de musique dite indépendante”.
J’ai toujours pensé qu’Eden de Mia Hansen-Løve pouvait être vu comme le pendant filmique d’À la recherche du temps perdu, dans lequel Morel serait Daft Punk et Sven Hansen-Løve, Swann, et, comme un retour de la forme roman vers la forme film, J’ai promené le chien de Guy Man (et autres histoires édifiantes) pourrait être le spin off littéraire d’Eden (ou le roman dans le roman, genre Un amour de Swann).
Quoi qu’il en soit, les deux sont un concentré de leur époque qui nous ravive ce temps plein de promesses et de joies, sans avenir, semble-t-il, puisqu’on attend toujours un revival des années 90-2000. Le cycle de retour tous les 20 ans semble bloqué. Mais Emmanuel et surtout son ouvrage n’est pas nostalgique. Comme Yoda, il regarde (et écoute) toujours le présent et s’il revient sur son passé, c’est sans amertume ni passéisme (il n’a pas notre défaut).
Alors pour tous ceux qui aiment Philippe Manœuvre, les artistes Labels, Daft Punk, Murat, Erik Arnaud, Jon Spencer Blues Explosion, Elliott Smith, Smog (voire Cali…), J’ai promené le chien de Guy Man (et autres histoires édifiantes) est un must absolu. Et fait son entrée dans les ouvrages indispensables sur le rock avec 39 ans et demi pour tous/Basse fidélité et Les Années Lithium de l’autre fou furieux de la micro-édition, Renaud Sachet (on les retrouve d’ailleurs associés sur le site Arrière Magasin, pas de hasard).
Supportez vos propres artistes locaux. Gloire à Emmanuel Plane (et à Renaud Sachet), et merci pour tout.
J’ai promené le chien de Guy Man (et autres histoires édifiantes) d’Emmanuel Plane est publié chez 5e étage sans ascenseur et disponible ici.
Ah, Emmanuel Plane est aussi Le Superposeur, là encore passion du regard de fan et science du recadrage. Il n’y pas que la musique et la BD dans la vie… Le cinéma, c’est pas mal non plus. Offrez-vous donc Les Retardataires ne seront pas admis en salle (2022).
Avec l’aide de Johanna D., celle dont Guy Man veut être le chien.