Musicienne cosmopolite qui a grandi entre Londres et Israël et vécu dans plusieurs pays, Ella Raphael a sorti en octobre dernier sur le label Fire un album bref mais particulièrement consistant, “Mad Sometimes”. Sa voix chaude et d’une grande pureté nous charme au fil de ballades rêveuses entre folk, jazz, country et pop lo-fi. Des petits classiques instantanés aux mélodies riches et aux arrangements inventifs employant toute une palette d’instruments, parfois exotiques. Nous avons profité de son passage à Paris il y a quelques mois pour la rencontrer.
Pour commencer, peux-tu nous résumer ton parcours ? Où vis-tu aujourd’hui ?
A Haïfa, mais j’ai passé la moitié de ma vie à Londres, j’y étais jusqu’à l’âge de 13 ans. Puis j’ai déménagé en Israël avec ma famille, mais j’ai en fait étudié et vécu dans beaucoup d’endroits dans le monde : un peu aux Etats-Unis, et aussi à Valence en Espagne, et en Australie, où je voyageais tout en travaillant. D’où une identité multiple, je pense.
As-tu commencé la musique jeune ? As-tu une formation classique dans ce domaine ?
Oui, quand j’étais à Londres, j’ai étudié la flûte. Je me souviens d’avoir toujours été très attirée par la musique. A l’école, j’aimais bien chanter et jouer de la flûte, et je pense que l’instrument a eu une influence sur ma façon de chanter. J’ai eu un professeur de flûte incroyable, et même s’il est plus naturel pour moi de chanter, les deux me semblent liés. Et puis mon père, même s’il n’a pas de talent particulier pour la musique, a toujours aimé en écouter et aller à des concerts. Tout cet environnement a certainement eu un impact sur moi.
Partageais-tu des goûts musicaux avec tes parents ? Ou t’es-tu un peu rebellée contre eux à une certain âge ?
Non, pas vraiment. Après, je n’étais pas toujours attirée par les mêmes choses. Mon père aime beaucoup le jazz, et c’est quelque chose qui m’a formée moi aussi. Lui apprécie des styles plus classiques, mais je me souviens que quand j’explorais les possibilités de ma voix, j’écoutais beaucoup de chanteurs et chanteuses de jazz. De façon très naturelle et libre, je faisais une sorte de scat, en jouant avec les mélodies sur une suite d’accords assez simple, de façon très libre. J’ai aussi eu une prof de chant, et cherché à copier des chanteuses comme Eva Cassidy, mais j’adorais surtout chercher de nouvelles mélodies, improviser.
Comment es-tu entrée en contact avec le label Fire Records ?
C’était il y a un an à peu près. J’avais terminé d’enregistrer les chansons pendant la période de la Covid, ça commençait donc à dater un peu. Je n’avais pas démarché beaucoup de labels mais j’aimais bien Fire donc je leur ai envoyé un e-mail en me disant que rien n’allait se passer car ils sont sans doute très sollicités… Ils m’ont répondu qu’ils avaient vraiment aimé ma musique, et ils ont fini par sortir “Mad Sometimes”.
C’est un disque assez court, de moins de 27 minutes. Est-ce que tu le considères comme un véritable premier album, ou penses-tu sortir un disque plus long après ?
Il était en fait un peu plus long au début, mais j’ai enlevé certaines chansons car je trouvais qu’elles fonctionnaient plus dans un contexte live que sur disque. Je voulais que l’ensemble soit cohérent. Pour moi, la durée d’un disque doit dépendre de ça. Donc il aurait aussi pu durer deux heures, mais il aurait été plus difficile à sortir !
Il y a beaucoup de chanteuses et musiciennes de talent chez Fire, comme Brigid Mae Power, Jane Weaver, Lucy Gooch, Marina Allen, Marta Del Grandi… Te sens-tu proche d’elles?
Oui, bien sûr, je vais d’ailleurs bientôt tourner avec Marina. J’aime bien le label, globalement. Je pense qu’il y a une ligne artistique claire, mais que chaque artiste peut s’affirmer comme individualité.
Plus largement, plusieurs chanteuses aujourd’hui font une musique assez proche de la tienne, de la pop ou du folk où l’accent est mis sur le chant et l’écriture, mais avec aussi un travail poussé sur les arrangements, les textures sonores. Ne crains-tu pas qu’il soit difficile de se distinguer, de se faire entendre ?
Pour être honnête, l’idée avec cet album n’était pas de faire quelque chose qui se voulait absolument différent, de totalement nouveau. Je me suis simplement inspirée des choses que j’aimais, comme la musique des années 50, avec ce son de guitare un peu mystérieux, comme hanté. C’était juste un terrain de jeu, j’enregistrais l’album sans penser à la façon dont il serait reçu. Si on ne réfléchit pas trop à ce qu’on fait, qu’on ne cherche pas à produire absolument quelque chose de différent, à être ceci ou cela, alors on peut vraiment s’immerger dans sa création, d’une façon pure, claire. Et ceux qui écoutent sentent qu’on ne ment pas. Bien sûr, on réfléchit à la structure des chansons, à la façon dont on veut qu’elles sonnent, mais il y a quelque chose de plus profond qui nous guide.
Photo : Aurora Summavilla.
Il y a un côté un peu rétro, mais on a l’impression que tu ne cherches pas non plus à recréer la musique du passé…
C’est intéressant, parce que j’aime beaucoup de musique des années 50, 60 et 70, ça me parle et j’y puise une grande partie de mon inspiration. Mais j’aime aussi ce qui se fait aujourd’hui, pas tout mais certaines choses bien précises. Et je n’ai pas essayé de sonner rétro, j’ai simplement fait les choses à ma façon. Comme Amy Winehouse : beaucoup de gens comparaient sa musique au doo wop et aux groupes des années 60 comme les Shirelles. Bien sûr, ça l’a influencée, mais elle en a fait quelque chose de personnel.
Il me semble qu’on entend du lap steel sur l’album ?
Oui, tout à fait. Il y a aussi du marimba, qui a été ajouté à la chanson “Tangled Love” après que j’avais terminé l’album. C’est Brian Bartus du groupe Monde UFO, également signé sur Fire, qui en joue, et ça apporte beaucoup au morceau.
Est-ce que tu cherchais des instruments spécifiques pour ajouter une couleur musicale ? Ou est-ce juste que tu as des amis qui en jouent et que tu as saisi ces opportunités ?
Je me souviens d’avoir établi une liste de tous les instruments utilisés et elle était vraiment longue, même si ça ne s’entend pas forcément. Il y avait une shruti-box, un guïro, un piano à queue… Je ne me souviens plus de tout car ça remonte à déjà longtemps, mais il y avait beaucoup de cordes, de congas… On a fait de nombreux essais pour trouver les sons qui convenaient. Sur une des chansons, on a essayé de mettre de la batterie et ça ne fonctionnait pas, puis simplement la charley mais ça ne marchait pas non plus… Et finalement le producteur du disque s’est souvenu que son père et ses amis jammaient en jouant des percussions sur des grosses boîtes de conserve, les boîtes d’olives qui sont utilisées dans les restaurants. Donc on a essayé ça, et ça a donné le son un peu métallique que je cherchais, un peu à la Joe Meek, léger mais avec un rythme appuyé. Quelque chose qu’on n’aurait pas pu obtenir avec une batterie.
Sur “Mad Sometimes”, on avait d’abord enregistré des parties de cordes, mais je n’en étais pas satisfaite. Donc j’ai chanté la mélodie que je voulais et on l’a retranscrite. J’ai fait la même chose pour le solo de piano du dernier morceau, “Outro”, joué par un ami, Guy Mintus, qui est un pianiste incroyable. Je lui chantais la mélodie et lui la jouait tout de suite sur le clavier.
Donc, oui, nous avons utilisé beaucoup d’instruments différents, mais c’était vraiment pour obtenir des couleurs musicales particulières.
Une impression de spontanéité se dégage de l’album, mais je suppose qu’il y a eu un important travail de production et que tout n’a pas été enregistré en live comme dans la vidéo de “See You Through”.
Oui, j’ai d’abord enregistré mes parties moi-même, puis j’ai travaillé avec le producteur pour étoffer les chansons, couche après couche. C’était un processus très excitant pour moi, je commençais à entendre différentes textures et sons, les morceaux prenaient forme alors qu’au départ il n’y avait pas grand-chose. Ça a été une période intense de trois mois où on était presque tous les jours au studio. Les chansons ne sortent jamais vraiment de ton esprit, tu rentres à la maison avec, tu y penses, tu écoutes d’autres morceaux et tu te demandes comment leurs créateurs ont fait ça…
La chanson titre sonne presque comme une démo, au moins au début.
C’est voulu, j’aime bien quand les choses ne sont pas absolument parfaites. Je pense que ça s’entend.
En effet, il y a comme un léger effet de pleurage sur ce morceau.
Oui, comme une cassette. Et même pour le chant, je suis souvent plus impressionnée par les chanteurs et chanteuses dont la voix n’est pas absolument belle. Comme Karen Dalton, qui avait une voix incroyable, mais avec quelque chose d’un peu ingrat, de disgracieux. Donc je cherche un peu ça, ou plutôt je ne le cherche pas vraiment, je suis attirée spontanément par ce genre de voix. Parce que le plus souvent aujourd’hui, avec le digital, l’AutoTune, le résultat paraît très propre. Et j’aime quand ça l’est moins.
Sur “Tangled Love”, tu chantes un peu en français ?
Oui, en français « cassé » ! On était en studio, et j’ai voulu essayer des paroles en français parce que j’apprécie les sonorités de votre langue que j’ai un peu étudiée. J’aime beaucoup Serge Gainsbourg… J’ai donc commencé à improviser quelques phrases, et j’ai ensuite demandé à une amie française si c’était correct. Elle m’a dit oui, mais je pense qu’elle m’a un peu menti (rires). Ceci dit, ça ne m’a pas causé de problèmes avec les Français qui ont entendue la chanson, ils trouvent que c’est mignon. Hier j’ai joué pour la première fois devant un public français donc j’appréhendais un peu mais ça s’est bien passé. Et puis je savais depuis le début que les tournures étaient un peu bizarres, donc ça va. J’ai aussi une chanson en hébreu, “Late”.
Quand tu te produis sur scène, es-tu généralement seule ou avec un groupe ?
Ça dépend. Hier, j’étais seule car c’était un concert en appartement très intime et j’ai adoré l’atmosphère et le rapport avec le public. Mais je pense que certaines chansons du disque sont plutôt faites pour être jouées avec d’autres musiciens et j’espère que j’aurai la possibilité de le faire.
Photo en haut d’article : Ella Barak.