Godspeed You! Black Emperor nous livre un nouveau disque enregistré dans l’urgence, et c’est à la fois un regard lucide sur les douleurs de notre monde et une note d’espoir.
Le post-rock, genre analysé un nombre incalculable de fois depuis que le critique Simon Reynolds a utilisé ce terme dans plusieurs articles de “Mojo” et “The Wire” en 1994, reposerait sur une idée toute simple, à savoir utiliser le studio comme un instrument à part entière. Que ce soit à travers les fulgurances cagneuses et dépressives de Slint ou Gastr del Sol, les mix permanents entre l’electronica, le free-jazz ou le krautrock chez Stereolab ou Tortoise, les longues plages atmosphériques de Mogwai, Labradford ou Explosions in the Sky, le studio a été l’outil sans lequel ces tempêtes sous des crânes n’auraient pas pu voir le jour.
La musique de Godspeed You! Black Emperor est née dans le studio autogéré Hotel2Tango, à Montréal. Un espace collectif permettant de faire sonner ses compositions comme un monolithe noir capturant toutes les horreurs de nos 25 dernières années : 11 septembre 2001, guerre en Irak, crises économiques, ventes d’armes et aujourd’hui les victimes du conflit israélo-palestinien. Un endroit à géométrie variable qui fait s’étirer les notes de guitares et de violon pour nous laisser hagard face à notre propre solitude, tel Cillian Murphy sortant du coma, errant dans un Londres désert et hanté par une horde de zombie dans “28 jours plus tard” de Danny Boyle, film justement rythmé par les échos de “East Hastings“.
Leur nouveau disque, “No Title as of 13 February 2024 28,340 Dead“, est tenu de bout en bout par l’engagement pugnace de ses musiciens. Il s’en dégage comme une sorte de blues (post)apocalyptique sur les passages les plus calmes, où une guitare slide se fait étrangement lumineuse. L’ouverture de “Sun is a Hole, Sun is Vapors“ nous propose de regarder le désert avec un regard mélancolique. Puis, les Canadiens se lancent dans un premier morceau de bravoure porté par des violons tenaces, “Babys in a Thundercloud“. Et c’est avec la montée en grâce de “Raindrops Cast in Lead“ qu’ils nous touchent en plein cœur, dans une apothéose crépusculaire où se rencontrent empathie et colère.
L’apogée de “No Title as of 13 February 2024 28,340 Dead“ est atteinte sur les deux derniers titres, “Pale Spectator Takes Photographs“ et “Grey Rubble Green Shoots“. En une vingtaine de minutes, le collectif orchestre ses montées intenses et emphatiques. Il y a 25 ans, Godspeed You! Black Emperor utilisait son studio Hotel2Tango pour tordre sa musique et nous livrer un “f♯ A♯ ∞“ dont le soleil noir n’a jamais cessé de briller. Aujourd’hui, ils s’en servent encore pour enregistrer dans l’urgence. Ils nous rappellent grâce à quelques rares moments d’accalmie, porteurs d’une lueur d’espoir, que l’on doit toujours résister aux horreurs de la guerre.