Quatrième épisode de notre série : un album marqué par une belle rencontre avec le regretté Richard Swift, sur ses terres, comme nous le raconte Xavier Boyer.
« Je me souviens qu’on a trouvé le titre de l’album assez rapidement, alors que ce n’est pas toujours le cas. Il peut arriver qu’on ait un titre de travail pendant toute la session d’enregistrement et que finalement on ne le garde pas.
On avait beaucoup de chansons au départ, certaines ont d’ailleurs fini sur le EP “Bang”, qui a un peu essuyé les plâtres. On voulait tout produire nous-mêmes et on n’était pas totalement satisfaits. Là, on passe en revue les albums, mais les EP et les faces B sont importantes aussi pour nous, on les a toujours vus comme des terrains d’expérimentations, sur un format différent.
Après ces tentatives pas totalement fructueuses qui se sont retrouvées sur “Bang”, on a cherché un réalisateur pour l’album. J’étais très fan des albums solo de Richard Swift, on a donc envisagé de le contacter, et là on a vu qu’il avait produit l’album de Foxygen qui avait été assez remarqué. On a donc craint qu’il soit plus cher que prévu… (sourire) En même temps, on était un peu rassurés car au départ on avait peur aussi que ce soit quelqu’un de très autarcique, qui fait ses propres chansons dans son coin et serait incapable de travailler avec d’autres personnes. En fait, c’était absolument l’inverse.
Je me souviens qu’on lui avait envoyé des morceaux et il avait particulièrement aimé “Love by Numbers”, qu’au départ je pensais plutôt garder pour un projet solo. Il trouvait que ce truc un peu sexy, funky, lent, dark… devait donner la couleur du disque. On a donc retravaillé les morceaux dans cette direction et organisé une session chez lui, dans l’Oregon, pendant trois semaines. On travaillait dans son garage où il avait installé son studio d’enregistrement et on avait l’impression d’être dans une série américaine, avec un panneau de basket au mur…
C’était à Cottage Grove, un petit bled (environ 10 000 habitants, NDLR) où il y avait quand même un lieu où écouter de la musique live. On y a vu Howe Gelb, le leader de Giant Sand, et ça changeait de ses concerts en France où il passait dans des endroits bien identifiés comme la Maroquinerie. Là, ça ressemblait plus à un caf’ conc’ à l’américaine. Comparé à chez nous, c’est un rapport assez différent à la musique, qu’on peut trouver là où on ne s’y attend pas.
Médéric, Pedro et moi, on s’est donc retrouvés là-bas avec Richard Swift, qui avait des sacs de marijuana thérapeutique et qui en filait à tout le monde… On était dans son studio qui était aussi son atelier de peinture, il y avait tous ses disques, plein d’instruments. On était passé de gens comme Tony Lash, Andy Chase, Tore Johansson, très créatifs mais très sérieux quand il fallait enregistrer, à lui qui avait une méthode beaucoup plus instinctive. Je me souviens qu’il avait mis les pistes d’un morceau sur son ProTools, et en écoutant il avait trouvé qu’il manquait un petit thème. Il a alors sorti un petit clavier, et quand il l’a branché, on a entendu un gros souffle, “chhhhh…”. On s’est regardés tous les trois, en se disant qu’il allait corriger ça, mais non, il l’a gardé. Il disait qu’il voulait rapporter de la matière, de la vie dans les chansons.
Quand on enregistrait les voix, pareil. On avait l’habitude d’être isolés dans une cabine. Là, j’étais juste dans le studio, il m’a donné un micro et il est allé chercher des bas de sa femme pour faire un filtre anti-pop. Il a laissé le son dans les enceintes et moi je chantais en me baladant dans la pièce, ce qui n’est pas très conventionnel…
Cela nous a pas mal décomplexés, même si on avait déjà de la bouteille. De manière générale, toutes ces expériences avec divers collaborateurs nous ont servi pour la suite et on les a transmises à d’autres personnes avec qui on a travaillé.
On a donc passé trois semaines très marrantes avec lui. Il nous disait de venir à midi, et quand on arrivait il n’était pas encore prêt. Vers 20h30, il nous disait qu’il était un petit peu fatigué, donc on rentrait tous les trois dans notre petite maison. Il n’y avait pas grand-chose à faire dans ce bled, donc on lisait, on achetait des bières…
En tout cas, je trouve qu’il n’a fait que des bons choix sur le disque. Pour le morceau “Crush!”, on était un peu bloqués. Il a pris son iPad, trouvé une application de boîte à rythmes, en a joué un, puis il a dû connecter l’iPad à l’ordinateur pour l’importer. C’était juste une programmation super bête mais qui fonctionnait parfaitement. Sur “The God of the Horizon”, on avait utilisé au départ une programmation sur une vieille boîte à rythmes, puis Raphaël avait joué la charley à Rouen. On trouvait qu’il manquait quelque chose, donc Richard a mis un micro sur son énorme batterie et a joué sur la fin d’une prise, avec un son hyper crade comme sur ses disques, et ça a tout de suite collé.
On est un peu nostalgique de ces moments. On l’avait recroisé à quelques occasions, notamment quand il jouait avec les Black Keys, et ça a été un choc d’apprendre qu’il était mort (en 2018, NDLR) à cause de ses problèmes d’alcoolisme car on n’avait pas du tout cette impression-là. C’était quelqu’un de très doué. Il avait trois filles, dont l’une habitait au-dessus du studio. On allait la voir de temps en temps pour s’excuser du bruit et elle nous disait : “J’adore votre musique donc il n’y a pas de problème. Parfois papa travaille avec des groupes plus difficiles à supporter !”
Comme on avait une énorme inspiration, on a encore sorti “… and the Rest Is Just Crocodile Tears”, un mini-album de sept morceaux en téléchargement. Et en parallèle, j’ai commencé à écrire pour mon album solo “Some/Any/New”. Une période faste, donc. »
Déjà publiés :
”The Sunshine Beat Vol. 1”
“Here With You”
“Hello Hello”