Tahiti 80 a sorti le 27 septembre dernier “Hello Hello”, sur Human Sounds, le label du groupe (distribution Bigwax). Ce dixième album marque les vingt-cinq ans d’existence discographique officielle de la formation rouennaise très aimée au Japon, un quart de siècle durant lequel elle aura nourri sa pop anglophone de diverses influences, en toute indépendance et avec une inspiration égale ponctuée de quelques pics – ce nouveau disque, riche en mélodies mémorables et en idées d’arrangements lumineuses, pourrait bien en faire partie.
C’est l’occasion de faire un bilan avec Xavier Boyer, chanteur, guitariste et principal compositeur du groupe, à travers un réexamen à rebours de la discographie “tahitienne” (albums seulement, même s’il y a quelques merveilles à piocher sur les nombreux formats courts publiés au fil des ans). On commence donc par le nouvel album.
« Nous avons enregistré “Hello Hello” dans un nouvel endroit, à Niort. On cherchait un studio résidentiel, où on pourrait dormir et être un peu dans une bulle. On avait commencé à prospecter à l’étranger mais c’est toujours compliqué d’un point de vue logistique, on s’est donc rabattu sur la France. Des amis qui y avaient enregistré nous avaient conseillé ce studio. Bon, on n’avait pas d’attirance particulière pour la ville elle-même… On connaissait un peu, on y avait joué. C’est marrant de se dire qu’en vingt-cinq ans on est passé de New York, où on avait enregistré le premier album, à Niort, mais on était dans un très bel endroit, avec plein d’instruments. La particularité principale, c’est que c’est une seule pièce. D’habitude il y a toujours la cabine de son et un espace pour faire les prises, là non. On était tous dans la même pièce et ça correspondait bien à notre projet pour ce disque, axé sur la cohésion de groupe, pas un album fait sur ordinateur.
On est resté dix jours et tout s’est super bien passé. On a fait les voix plus tard, dont une bonne partie chez moi à Montpellier, et quelques petites choses à Paris, mais c’était plus de l’ordre de l’overdub.
On a encore notre espace à Rouen qui nous permet de travailler les morceaux et d’enregistrer. Le “canal historique” du groupe est toujours là-bas même si on est un peu éparpillés aujourd’hui. En ce qui me concerne, j’étais entre Paris et Montpellier et je suis désormais installé à Montpellier. Pour ce disque il y avait la volonté de sortir un peu de notre confort. Quand tu peux te le permettre de temps en temps, c’est toujours bien d’aller dans un endroit différent, de ne pas rentrer dormir chez soi. Mais sinon, on est devenu par la force des choses un “long distance band”, dans les deux sens du terme : un groupe qui tient sur la durée, et où les relations sont souvent à distance du fait que nous ne sommes plus tous au même endroit. Avec un peu d’organisation, ça fonctionne. Bon, c’est sûr que ce serait sympa si on habitait tous ensemble comme les Monkees ! Mais en fait, dix jours par an ça suffit. (sourire)
Le précédent album, “Here With You”, avait été fait essentiellement à distance à cause du Covid. On avait eu quelques petits moments ensemble, entre les confinements… C’était donc à l’opposé de l’idée de départ : on voulait se retrouver et jouer tous dans la même pièce, ce qu’on a donc pu faire avec le nouveau. L’environnement, le contexte, ça influe forcément sur le process artistique. Après, je trouve qu’il y a quand même une cohésion de groupe qui se dégage de “Here With You”. Mais c’est sûr que les circonstances n’étaient pas idéales. Normalement, quand on enregistre, on est tous ensemble, chacun peut donner son avis, apporter des idées, essayer des choses, et les morceaux évoluent au fur et à mesure. Là, on était en autarcie, chacun faisait une ou deux propositions mais après c’était gravé dans le marbre, on ne pouvait plus trop changer. C’est donc un disque où il y avait beaucoup de choix personnels des uns et des autres. Mais de toute façon, pour chaque nouveau disque, on a un plan bien précis en tête et ça ne se déroule jamais complètement comme on l’avait imaginé…
Maintenant nous faisons tous de la musique à côté du groupe. Au départ, c’était plutôt exceptionnel, maintenant c’est devenu plus régulier. Nous écrivons beaucoup et ne nous pourrions pas tout sortir avec Tahiti 80. Nous mettons donc les chansons dans des cases : certaines sont pour les disques du groupe, d’autres peuvent être proposées à divers artistes, d’autres encore sont gardées pour nos projets solo. Dans le cas de Médéric, ses chansons en français se retrouvent forcément sur les disques qu’il sort sous le nom de Med car elles sont en français et je ne pense pas que ce soit “Tahiti-compatible”. Et ce n’est pas du tout un problème. Là, il prépare un EP avec Julien Bouchard, qui va sortir je pense en janvier 2025. On publie des disques de façon professionnelle depuis 25 ans, et il est sans doute nécessaire de faire des choses à côté pour perdurer, renouveler l’intérêt, ne pas se sentir frustré. Quand les décisions communes ont tendance à devenir des compromis, c’est le moment de partir en solo.
Il y a un lien particulier entre ce nouvel album “Hello Hello” et ce que j’ai sorti sous mon nom ces dernières années car on a fait appel à la personne qui avait travaillé sur mes disques, Stéphane Laporte alias Domotic. On a l’habitude de collaborer avec des gens : à part pour l’album “Activity Center”, on a toujours fait appel à des personnes extérieures au groupe, qui puissent parfois trancher à notre place et apporter leur singularité. On a commencé à réfléchir à quelqu’un pour l’album alors que je terminais mon EP “Soda Coda”. Le reste du groupe avait écouté à la fois mes démos et les morceaux finis produits par Stéphane, ça leur avait plu, et je crois que c’est Médéric dans un fil de discussion qui a proposé son nom. J’étais très content que ça vienne de mes camarades car je ne voulais pas l’imposer de mon côté. Ça a été une belle aventure humaine, je crois qu’on lui a laissé la place qu’il fallait pour qu’il puisse s’exprimer aussi. Nous avons un peu tendance à polir le son, quand lui apporte plutôt de la ”saleté”. Il va faire une très belle prise mais va la faire passer par des bandes, des cassettes… pour aboutir à une matière un peu distordue, presque imparfaite. On s’est rendu compte assez vite que ça faisait un joli contraste avec notre approche, notre façon d’écrire des chansons. »
Photo : Sylvain Marchand.
Tahiti 80 joue le 23 octobre à la Maroquinerie, à Paris.
Nico Bour
Quelle bonne idée