Composition de Daniel M Karlsson pour le Edition festival for Other Music vii, centré sur le GRM. L’acousmatique et le codage à son meilleur : une pure coulée dans un temps musical miroitant et toujours changeant.
Daniel M Karlsson est le secret le mieux gardé de la scène musicale expérimentale de Stockholm. Sans doute trop secret ou plutôt trop confidentiel. Et c’est un véritable paradoxe parce que l’homme est charmant et ses créations (visuelles et musicales) surprennent toujours par leur beauté, leur rigueur et leur qualité. Leurs surprises aussi car Daniel M Karlsson est un passionné de codage et donne à ses créations une vie propre. Un démiurge sympa en sorte. Et même dans un exercice aussi codé que le mémoire de thèse, il réussit à tordre les attendus et à donner un texte très personnel, se baladant entre les clous (“Mapping the Valley to the Uncanny” sur XKatedral).
Du code donc et des échantillons de sons prélevés sur un instrumentarium très large lorsque Daniel M Karlsson travaillait pour une maison symphonique locale.
Évidemment, on est dans de la musique acousmatique et donc dans un au-delà de la précision de la source (et des espaces dans lesquels le son est projeté). Un au-delà ici repoussé aussi dans la composition avec l’importance du codage. Reste donc la musique et l’expérience de la musique. Détachée de sa production, entendue pour ce qu’elle est, à l’instant. “Towards a Music for Large Ensemble” contient deux moments : l’un enregistré pour le Edition festival vii, centré sur le GRM, qui a déplacé pour l’occasion son acousmonium de Paris, et l’autre… dans un autre endroit (undisclosed location).
Est-ce la même composition ? Oui. Est-ce qu’on entend la même chose ? Non.
D’ailleurs, en achetant l’album on peut acquérir le code, lancer la composition soi-même et la faire tourner indéfiniment.
J’ai eu la chance d’entendre “Towards a Music for Large Ensemble” sur l’acousmonium, de me laisser bercer et berner par les différentes sources : leur emplacement de diffusion et leur « échantillonage »-retraitement. Je me souviens de Daniel M Karlsson concentré, levant le nez en l’air pour apprécier sa diffusion et la régler.
Comment en parler ? Il faut se laisser aller dans le continuum de sons, la pâte quelquefois quasi solide, impénétrable, d’autre fois émaillée de grésils, de scintillements (cordes ? percussions frottées ?). Un coulis marbré, qui se contorsionne, s’épand ou se contracte, en matités, en bruits blancs puis qui devient arc-en-ciel de couleurs. S’écaille d’une résonance (de gong ?), presque en surimpression, avant d’être parasité (embelli) par des souffles ou des éclats de métal cristallin. C’est tout une vie sonore qui se déploie et on est happé par le tout ; quelquefois au contraire, on est (r)éveillé par ce qui nous semble être un évènement : un coup sourd, une percée d’aigu ou un glissé d’archet sur des cordes. On est à la fois dans du concret (que l’on semble entendre clairement parfois) et du son pur, abstrait (entendre : détaché de sa source). Parfois il nous semble entendre le son traité comme des notes de piano, assourdies ou assombries-lissées mais c’est vraiment de l’ordre de l’imagination ou de la reconstruction. On cherche et on est surpris de chercher… encore.
Quoi qu’il en soit on est soufflé par la beauté des sons, l’architecture souple et plastique qui nous entraîne dans le continuum, cet hors temps qu’est la musique.
Daniel M Karlsson n’aime pas beaucoup les objets musicaux (« des tokens à collectionner », nous avait-il dit un jour) mais nous sommes, encore, dans un monde d’objets et ceux que Daniel propose sont beaux. Ils véhiculent de belles idées, de beaux codes (imprimés sur un t-shirt) et une musique qui en découle. Il serait dommage de s’en priver et on espère vivement que cette publication permettra à Daniel M Karlsson de tourner et de faire entendre sa musique à un public plus large. Elle continue de nous faire rêver depuis presque quinze ans. Longue vie à elle.
Avec l’aide de Johanna D, GRMisée depuis 20 ans.
“Towards a Music for Large Ensemble” est sorti le 20 septembre 2024 en CD LP et numérique sur le label fönstret.