Ici trio d’improvisateurs délicats, tout en percussions et vibrations, l’Ensemble 0 retrouve les chemins de traverse de Mice Parade sans renier Steve Reich, Morton Feldman ni John Cage. Musique atmosphérique joueuse et chatoyante qui pourrait réconcilier popeux et expérimentalistes (ou popistes et expérimentaleux).
Retour à 0. Où 3, cette fois-ci, égale 0. Jean-François Brohée, Florent Garnier et Sylvain Chauveau sont les composantes de cette hydre à trois têtes, ou plutôt une seule, celle collective œuvrant avec 6 mains et 3 paires d’oreilles pour des créations si bien nommées : “ »”Always the same, never the same”.
Ensemble 0 navigue toujours dans cette musique du peu, du transportable, avec un instrumentarium réduit, ouvrant pourtant un large champ des possibles. On trouvera donc guitare préparée ou non, orgue, harmonium, piano et tout un ensemble de percussions pour un résultat discret dans la grande tradition des musiques improvisées délicates et sensibles.
Rien n’a été écrit ni, semble-t-il, préconçu et ce que l’on entend est le résultat d’improvisations choisies. L’idée est de se faire plaisir et de faire plaisir, d’où des improvisations douces basées sur des idées simples, des répétitions, des silences, des réaménagements où l’écoute de l’autre permet de placer sa singularité dans le grand tout de l’ensemble. L’auditeur est donc invité à se mettre au diapason des propositions des musiciens et de suivre avec une écoute à la fois flottante et/ou concentrée leurs évolutions.
Une base de guitare, une mélodie au glockenspiel prennent souvent le centre de notre attention trop bercée, bernée par la musique pop alors qu’en fait il s’agit presque d’un rythme sur lequel viennent broder des percussions plus bavardes. En fait, rien n’est si simple, tout est mélodie, tout est rythme, tout est en mouvement. Et tout est musique. Y compris un éternuement !
On est quelquefois dans un titre quasi pop, parfois dans un titre très spartiate. Et on retrouve cette architecture souple dans les morceaux eux-mêmes. Il s’agit de lâcher prise, de perdre pied. D’ailleurs le temps est totalement élastique, avec des morceaux affichant 1mn et d’autres une dizaine mais bien malin celui qui peut évaluer réellement le temps des titres et du disque, hormis en s’extrayant volontairement du flux musical (une hérésie).
Voilà pour les caractéristiques mais elles ne rendent pas compte de la richesse et du plaisir de l’écoute. Personnellement, en écoutant ce nouvel album de Ensemble 0, je ressens la même joie qu’à la découverte de Mice Parade, il y a presque vingt ans. Il suffit d’un titre, Poc A Poc (voire deux avec Huntat’s Olal) , pour retrouver la même alchimie guitare/percussions qui nous sortait des chemins battus, entre pop occidentale et musique improvisée, musique contemporaine et celle dite du monde, timbres cristallins des percussions, vives, de Steve Reich ou, plus spartiates, de Morton Feldman et énergie rock.
Évidemment on pense aussi à l’outre pop de Mark Hollis qui déclarait :
“The silence is above everything, and I would rather hear one note than I would two, and I would rather hear silence than I would one note.”
C’est ce que l’on sent aussi dans cet album, où la retenue est de mise sans que les musiciens refusent pour autant de jouer. C’est en ce sens un album plutôt plein qui devrait séduire un plus large public que les stricts fans hardcore de musique improvisée.
Enfin, pour être encore plus clair, Sylvain Chauveau, accompagné donc, plutôt que solo, enregistre, encore !, un nouveau chef d’œuvre, les doigts dans le nez, deux ans après le fantastique duo avec Pierre-Yves Macé, “L’Effet Rebond” (2022). La classe.
Avec l’aide de Johanna, Mickey Parade.
“Always the same, always different” est sorti en numérique et CD à 500 exemplaires sur Farpoint Recordings le 15 août 2024.