Entre chansons et improvisations, Shizka n’a pas fait de choix. C’est que tout est musique, tout est poésie lorsqu’on œuvre avec le cœur.
Adeptes des musiques du peu, bienvenue, vous êtes chez vous. Avec “A Small Sun”, paru sur le label bien nommé Accretions, Shizka Ueda vient justement se poser comme le centre de gravité d’un triangle magique et cher pour nous : Tori Kudo, The Tenniscoats et Reiko Kudo. De Tori, un goût prononcé pour l’équilibre instable, les musiques inspirées du blues et du jazz, la spontanéité avant tout. De Tenniscoats, le fond insubmersible de la mélodie, de la chanson qui tient la route en dépit de tout. De Reiko Kudo enfin, dont on reste désespérément sans nouvelles musicales depuis ”Tangerine” en 2021, une sensibilité à fleur de peau, une fragilité et une fraîcheur de pétale de rose, cette timidité qui s’impose et pourtant s’excuse presque de faire des chefs-d’œuvre comme Monsieur Jourdain de la prose.
Évidemment, on n’est pas au Louvre sur des grandes toiles préparées mais dans un jardin zen, quelquefois mal désherbé, et on s’émerveille d’origamis patiemment pliés et posés dans un coin.
C’est que Shizka Ueda a d’autres choses à faire : psychologue clinicienne de formation, co-autrice de nombreux ouvrages sur la psychologie et la musique, pour elle, la musique est une récréation ou plutôt une autre pratique qui fait appel à d’autres connections neuronales et sociales. On n’est pas étonné de l’entendre nous raconter avoir partagé la scène avec Tori Kudo et son Maher Shalal Hash Baz, formation ô combien fluctuante. Dans “A Small Sun”, elle côtoie la scène improvisée de New York et… Ann Arbor.
On la découvre sur la scène du Larry’s Corner, devant un parterre qui déborde dans le couloir, conquis par les quelques chansons extraites de son album et postées pour le concert.
Quelques pédales d’effet et de boucles, un micro et Shizka Ueda nous fait voyager dans son système de micro-chansons auxquelles on ne comprend rien (japonais…) mais que l’on ressent intimement tant la pop japonaise fait partie sinon de notre quotidien du moins de nos meubles. D’ailleurs, elle reprend Il pleut de Brigitte Fontaine, et c’est un ultime trait d’union et de réunion. Si elle s’excuse de chanter dans son idiome, elle nous décrit ses textes et nous invite à recourir à une photocopie des traductions posées sur le piano.
Fleurs poussant sur la chaussée, grenouilles ébouillantées à feu doux (« c’est la société japonaise aujourd’hui »), instants Instamatic (de poétique instagramable ?), ce sont des haïkus modernes, quotidiens, à la fois éphémères et immortels d’une vie essentielle qui perdure… malgré tout.
Pour mettre cela en son : l’inévitable pop, tirée du blues mais décharnée-étirée (la leçon Velvet), les couleurs criardes du psychédélisme (Velvet encore), la tendresse de la naïveté (qui a crié Moe Tucker ?). Pour autant, une fois l’origami déplié, des vents s’échappent, des cuivres rehaussent le propos et un glockenspiel irradie (Hidamari). Les improvisations sur les compositions structurent le propos, le densifient (Cucumber’s Theme) comme chez les Tenniscoats, ou, au contraire dans les titres Improvisation (2, 4 et 5) s’abiment dans la joie du bruit, de la découverte sonore, suivant des pistes kudistes mais plus ouvertement improvisées (entendre : moins jazz), noisy même (dans Improvisation 4) sans lâcher tout à fait ce qu’on pourrait appeler la « tentation » de la chanson, qui n’est pas poésie sonore.
Ces improvisations sont vraiment le point de jonction Tenniscoats-Kudo. On retrouve d’ailleurs des fulgurances de guitares à la Ueno qui prendrait la poudre d’escampette de Tenniscoats. Ces improvisations s’imposent sur le temps long (le CD est chargé) et sont comme une bouffée d’air frais au milieu de titres plus sur le format chanson… qui n’hésitent pas à vriller (le final de Yudachi). Song for Guitar and Voice, construite sur un riff nirvanesque, se fait la malle à coups de touches de chœurs loopées, de percussions sourdes.
Shizka Ueda ne choisit pas entre son fond de culture rock et les techniques de recherche sonore, mais aussi peut-être psychologique, faites de tâtonnements, d’errances, d’attention flottante, de pistes suivies à l’instinct. D’écoute enfin, surtout.
C’est pour toutes ces excellentes raisons que Shizka Ueda entre dans notre panthéon d’artistes de proximité, bouleversants et adeptes de la setlist mais uniquement si celle-ci peut être bousculée, ouverte à la rencontre. La musique de Shizka Ueda ne changera pas la face du monde mais ceux qui s’approcheront, cœurs et oreilles ouverts, de ce petit soleil seront réchauffés dans cet univers toujours un peu plus froid.
On vous conseille d’acquérir le CD, à la pochette pollockienne et au livret illustré de charmants dessins de champignons, d’astres souriants ou étonnés et de chats promenés dans des sacs en plastique. DIY forever.
Avec l’aide de Johanna D, un peu fofolle, comme Brigitte.
“A Small Sun” est sorti en CD et numérique chez Accretions Records le 29 novembre 2023.