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Interviews

OMD : « On a toujours voulu tenter différentes choses, sans se répéter » (1/2)

Ce fut l’un des groupes les plus populaires de la new wave britannique, versant synth pop, et l’on danse encore aujourd’hui sur leur tube “Enola Gay” dans les mariages – étonnant quand on sait ce que raconte la chanson. Orchestral Manoeuvres in the Dark aurait pu s’éteindre avec les années 80 qu’il a si bien su incarner, mais Andy McCluskey et Paul Humphreys ont préféré continuer l’aventure, à un rythme un peu moins harassant. Si le premier était quasiment seul aux commandes du vaisseau OMD dans les années 90, les deux complices se sont réunis au milieu de la décennie suivante et ont sorti depuis, outre plusieurs live, quatre albums studios. Le dernier, “Bauhaus Staircase”, un disque aux ambiances plutôt variées mais où la patte du duo est toujours reconnaissable, est paru en octobre 2023, et le groupe se produira à la Cigale le 16 février (le concert affiche déjà complet).
En interview, les deux fringants sexagénaires s’avèrent parfaitement complémentaires, l’un poursuivant souvent les phrases de l’autre. Si Andy apparaît plus exalté que Paul, les deux expriment le même enthousiasme et la même passion pour la musique quarante-cinq ans après leurs débuts. Sans regrets malgré les hauts et les bas de leur carrière, sur laquelle ils jettent un regard lucide mais dénué d’amertume. La conversation ayant été longue et riche, nous la publions en deux parties. Voici la première.

Le nouvel album sort six ans après le précédent. Quand avez-vous commencé à travailler dessus ?
Andy McCluskey : Certains morceaux sont restées à l’état embryonnaire pendant des années. Il y a toujours des ébauches, des idées qui traînent dans nos ordinateurs, dont nous aimons certains éléments mais pas tous. Elles évoluent donc, il y a des choses que nous gardons, d’autres qui vont changer. Nous nous sommes vraiment mis au travail sur l’album pendant le confinement. La moitié des chansons ont pris forme entre mars et mai 2020. Il faut dire qu’il n’y avait rien d’autre à faire à ce moment-là ! Ça nous a donc incités à nous y mettre sérieusement. Mais bon, nous sommes vieux aujourd’hui… Ça nous prend donc plus de temps que dans le passé pour élaborer une collection de chansons.

L’atmosphère particulière qui régnait pendant le confinement et la pandémie a-t-il eu une influence sur votre travail ?
Paul Hymphreys : Sans doute. Ça nous a tous affectés profondément, de toute façon.
A. M. : Il y a des points négatifs et des points positifs. Certains morceaux de l’album sont clairement nourris par la colère et la frustration, comme “Kleptocracy” qui parle de la façon dont la démocratie a été volée. Ou “Anthropocene” et “Evolutions of Species” : écrire ces chansons en pleine pandémie induisait une réflexion sur l’homo sapiens et la fragilité de notre planète. Mais nous avons tiré aussi du positif de cette situation. Nous nous sommes rendus compte que l’être humain pouvant être bon et aimant. Nous avons établi des connexions très fortes entre amis, au sein de nos familles, nous nous sommes souciés les uns des autres.
P. H. : Soudain, nous nous sommes arrêtés alors que nous avions l’habitude d’aller à cent à l’heure, tout le temps. Nous avions enfin le temps de nous interroger sur ce qui nous importait vraiment, sur nos rapports avec les gens, l’importance que nous y accordions. Cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé à mes voisins, et là, tout d’un coup, on se demandait les uns les autres si tout allait bien.

Concrètement, comment travaillez-vous ? Chacun compose de son côté ? Est-ce que l’essentiel de l’album est écrit avant d’entrer en studio ?
P. H. : Je crois que c’est différent pour chaque album. Ça a en tout cas pas mal évolué au fil des années. Tous nos premiers disques ont été écrits et réalisés dans notre propre studio, assez vite. On arrivait le matin, on branchait les machines qui faisaient des bruits bizarres et on les éteignait en repartant le soir. On expérimentait beaucoup sur le son. Maintenant, ça prend plus de temps, nous n’habitons pas la même ville. Pour beaucoup de nos albums, nous avions pris l’habitude au départ de nous retrouver pendant un certain temps dans la même pièce pour échanger des idées, les agiter, nous mettre d’accord sur les noyaux des chansons. Puis chacun repartait travailler de son côté. Mais là, il était impossible de nous retrouver au même endroit… J’étais en vacances dans le sud de la France quand le confinement a été décidé et je ne pouvais donc pas en repartir. Bon, je n’étais pas malheureux ! (rires) Mais ça nous a obligés à travailler différemment, à distance.
A. M. : Heureusement, nos ordinateurs respectifs sont totalement compatibles, ils sont même comme des jumeaux. Je peux écrire quelque chose et l’envoyer à Paul, il recevra quelque chose d’absolument similaire. Et vice versa.

J’ai trouvé une phrase assez amusante qui décrit la dynamique de votre duo sur votre page Wikipedia en anglais, tirée d’un magazine : « two Pauls wouldn’t get anything done and two Andys would kill each other ».
P. H. :
Ça me semble assez juste ! (rires) En effet, nous avons deux personnalités très différentes, mais tout à fait complémentaires.
A. M. : Nous pouvons bien sûr avoir des divergences…
P. H. : C’est inévitable dans le processus d’écriture, nous n’avons pas toujours la même vision.
A. M. : Nous avons aussi deux formations différentes : moi en art, Paul en électronique et en technologie. Nous avons toujours mélangé ces deux approches.

Par rapport à vos débuts, la technologie offre aujourd’hui des possibilités quasiment infinies, même quand on compose et qu’on enregistre chez soi. Ne court-on pas le risque de ne plus arriver à choisir, comme dans un immense hypermarché ?
P. H. : Nous appelons ça « la tyrannie du choix »… Aujourd’hui, il faut se reposer sur son expérience comme compositeur et musicien, pour limiter sa palette sonore. On peut passer des jours à mettre au point le son de la grosse caisse ou de la caisse claire car on a 2000 options différentes pour la première et 3000 pour la seconde ! On doit donc se limiter soi-même, en se concentrant davantage sur la chanson que sur le son.

Avez-vous travaillé avec d’autres musiciens pour ce disque ?
P. H. :
Il y en a eu quelques-uns, oui, contrairement à nos débuts où nous faisions tout nous-mêmes.
A. M. : Nous avons deux amis en Grèce qui font eux aussi de la musique électronique et qui nous ont aidé sur le morceau “Aphrodite’s Favourite Child” : George Geranios et Nikos Bitzenis de Fotonovela.
P. H. : Nous avions déjà travaillé avec eux par le passé, en fait.
A. M. : Mon amie Caroline England, qui est une singer-songwriter de talent, me disait souvent en plaisantant : si tu connais l’angoisse de la page blanche, appelle-moi ! Et j’ai fini par faire appel à elle. Elle a donc écrit les paroles de “Healing”, qui sont très belles et qui ont fortement résonné en moi. Je me sentais très à l’aide en les chantant. Une autre amie, Katrīna Kaņepe, a écrit la mélodie vocale de “Slow Train”. Elle est venue dans mon home studio, elle souhaitait travailler avec moi. Je lui ai donc passé des chansons sur lesquelles on travaillait et quand elle a entendu celle-ci, elle a réfléchi et puis soudain elle a dit qu’elle avait une idée pour les chœurs et qu’elle aimerait bien essayer de la chanter. J’y croyais moyennement, et puis elle a chanté ce « na na na na na na na na na » et j’ai dit : « parfait, on le garde ! ». Et puis il y a Uwe Schmidt, qui parfois se fait appeler Señor Coconut, parfois Atom TM. On lui a juste dit qu’on adorait le son de ses « glitchs » et on lui a proposé d’intervenir sur le mix d’“Evolution of Species”. Il a d’une certaine façon reprogrammé le morceau. Enfin, nous avons collaboré avec le producteur Dave Watts, qui a plutôt l’habitude de travailler avec des groupes de rock. En fait, de tous les albums que nous avons fait, je pense que c’est celui qui accueille le plus de contributions extérieures. Tout en gardant le son distinctif d’Orchestral Manoeuvres in the Dark.

Avez-vous des automatismes quand vous travaillez ensemble, et essayez-vous de vous en débarrasser ? Je trouve qu’il y a sur cet album des morceaux qui rappellent beaucoup ce que vous avez pu faire avant, mais aussi d’autres plus étonnants comme “Veruschka”, une très belle ballade panoramique.
P. H. : Une chanson à l’ambiance très “film noir”…
A. M. : La principale difficulté, quand on fait de la musique ensemble depuis 45 ans et qu’on a écrit plus de 200 chansons, c’est en effet d’arriver à apporter quelque chose de nouveau, de différent.
Ça devient de plus en plus dur avec les années. Il faut aussi avoir conscience que tout ce qu’on crée n’est pas en or massif. On doit être prêt à dire : non, ça ce n’est pas bon. (rires) Et se faire confiance à soi-même. Ça vient avec l’âge, l’expérience. Il faut laisser reposer les choses. Quand on crée, on est toujours enthousiaste. Mais quand on réécoute quelques jours après, on est plus objectif, c’est « oui… non… peut-être… ». Il y a peut-être une idée sur dix qui fonctionne vraiment.
P. H. : Quand nous avons commencé, l’idée était vraiment de ne pas se répéter. Après avoir réalisé quelque chose, il faut aller de l’avant. C’est évident avec nos premiers enregistrements. Nous avions adopté un certain style avec “Joan of Arc” ou “Souvenir”, qui ont eu beaucoup de succès. Puis nous avons fait l’album “Dazzle Ships” qui était radicalement différent, car nous voulions absolument évoluer. Quelqu’un de notre label nous disait qu’après avoir vendu des millions de disques, tout ce que nous avions à faire c’était d’enregistrer un deuxième “Architecture and Morality”, en reprenant la même formule. On serait devenu les nouveaux Genesis… On a dit : « OK, on ne va pas faire ça. » (rires) On a toujours voulu tenter différentes choses, et l’évolution de la technologie nous y ont incité, en ouvrant de nouvelles possibilités.

De 1980 à 1986, vous avez sorti un album par an en moyenne, plus des faces B, les tournées… Etiez-vous particulièrement inspirés, ou votre label exerçait-il une pression ?
P. H. : C’était dans notre contrat, on n’avait pas trop le choix !
A. M. : Les trois premiers albums ont été vraiment faciles à faire : nous étions jeunes, pleins d’idées et d’énergie. Puis nous avons un peu ralenti. Le suivant, “Dazzle Ships”, s’est moins bien vendu, a un peu effrayé les gens. Mais nous avons quand même écoulé des millions de disques, sans pour autant devenir riches et même avec des dettes à rembourser car nous avions signé un très mauvais contrat. Nous ne gagnions quasiment rien. Si bien qu’à la fin de l’année 1988, notre manager nous a dit : vous n’êtes pas rentrés dans vos frais, vous devez encore à Virgin 1 million de livres. Et ce n’est pas parce que nous aurions acheté des châteaux ou des avions, c’est juste parce que ce qu’ils nous donnaient d’une main, il le reprenaient de cinq mains ! La seule solution pour régler le problème, c’était que le groupe s’arrête.
P. H. : Ainsi, nous n’avions plus à payer pour les studios d’enregistrement et les clips. Quand nous tournions, nous perdions de l’argent, nous devions en emprunter à la maison de disques. Une fois que nous avons arrêté, nous avons enfin touché de l’argent, ironiquement.
A. M. : Nous ne sommes certes pas les seuls à avoir été dans cette situation. Quand nous sortions un nouvel album, nous devions faire une tournée dans plusieurs pays pour le promouvoir et, comme le racontait Paul, nous perdions de l’argent. Une fois rentrés, notre manager nous disait : vous êtres fauchés, il faut enregistrer un nouvel album… maintenant. Donc les dix premiers morceaux que nous écrivions en six semaines se retrouvaient sur le disque, qu’ils soient bons, mauvais ou carrément laids. Et ça ne doit pas fonctionner comme ça, il faut prendre plus de temps.
P. H. : Oui, du temps pour développer ses idées, le son… C’était vraiment frustrant de devoir aller aussi vite. Et je pense qu’au fur et à mesure, nos albums des années 80 en ont de plus en plus pâti. Ce n’est pas vraiment que nous avions de moins en moins d’idées, plutôt que nous avions de moins en moins de temps pour faire nos disques.

(à suivre)


Photos : Ed Miles.
Merci à Ephélide.


2 comments
  1. Lex Lutor

    L’un des meilleurs groupes de synthpop avec Depeche mode. Ce dernier album est l’un des meilleurs ! Ca fait plaisir que de vieux groupes cultes sortent encore des albums dans un univers « musical » si moribond dominé par le rap et la pop insipide !

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