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Disques

Sigh Of Relief – Lifespan

Bubba Kadane, hors de la machine de luxe slowcore The New Year, continue de nous envoyer ses cartes postales électro-acoustiques, hors du temps, hors chansons, et aussi cinématographiques qu’inspirées par la musique indienne voire les poèmes musicaux de Richard Strauss. Toute ressemblance avec Jim O’Rourke, emprisonné dans sa Steamroom, n’est absolument pas fortuite… C’est dire si c’est bon.

Lâcher la guitare et le format chanson pour l’électro-acoustique n’est pas pour autant un renoncement au style propre de Bubba Kadane, reconnaissable entre tous.

En témoigne cette suite de notes typiquement Bedhead/The New Year en guise d’ouverture mais prenant plus d’ampleur (les possibilités du clavier), tenant de la répétition des quelques notes précises et envoutantes dans Rencontres du 3e type. D’emblée, on est dans la continuité des travaux de Bubba (simplicité et intelligence) mais dans une temporalité différente, hors des cadres de la chanson. Alors que le rythme se ralentit voire se dissout, des nappes, des aplats surgissent, comme autant d’irisations grisâtres-bleutées, très horizontaux d’abord puis s’élevant en légers reliefs plus lumineux, irradiant la composition d’une douce lumière. C’est finalement une sorte de raga, comme un drhupad matinal, partant des notes graves répétées (l’engourdissement de la fin de la nuit), vers une mise en rythme progressive (un éveil radieux).

Vers les 8 minutes, des sonorités plus grésillantes apparaissent comme un résidu de larsens de guitare (toujours la piste des anciennes pratiques), introduisant l’idée du souffle, de la respiration organique dans un corps qui n’était encore qu’esprit (une musique électronique a priori plus riche, du moins aux capacités de production sonore plus larges). Des harmoniques tourbillonnantes égaient l’ensemble (vers la première dizaine de minutes) prenant la relève des souffles. Et si nous étions dans un mouvement d’ensemble vaste à la Strauss, discursif comme “Zarathustra”, ou plutôt descriptif, comme sa “Symphonie alpestre” ?

La piste raga est encore plus prégnante vers la fin du premier tiers, avec un jeu d’harmoniques, très sitar, avec de longues notes tenues (le chant ?), mais jouant en plus des effets stéréo zébrant l’ensemble. Encore une fois, les chiens ne faisant pas des chats, l’origine pourrait être de la guitare delay, dans des jeux de pédales finalement peu usités par les Kadane. On est ici dans de la texture et des couleurs jetées sur la toile sonore de manière abstraite mais toujours en harmonie (un résidu de la mélodie kadanienne).

Le son devient plus granulaire mais avec un tintinnabulement vague (d’origine guitaristique ?) qui annonce, en fait, le retour de la série de notes de départ, comme une réexposition, un ressac avant une dissolution dans un grésillement gris clair, une nappe feutrée vibrant légèrement vers le dernier tiers de la composition alors que se perd un cliquetis dans le fond et que naissent de nouvelles vibrations très graves. C’est un état serein, une sorte de stase de plus en plus perturbée par des frottements, des souffles, comme un balai de batterie ou un bourdonnement léger mais tenace d’insecte tournant autour. Serions nous dans la pause de l’après-zénith, une sorte d’apogée, de temps suspendu ?

Quoi qu’il en soit, les notes sont plus étirées comme des aplats de pinceaux, lissés parfaitement, riches et maitrisés (les dernières cinq minutes). Presque des accords parfaits mais enrichis de mille nuances, sur des bourdonnements de basses sereines n’occultant pas une remontée de bulles de restes de mélodies mais circonscrites dans des rondeurs étranges avant la dissolution finale.

C’est un voyage, d’une journée ou d’une vie, une ascension vers le sommet avant sa lente redescente (Strauss encore) mais surtout une nouvelle étape dans le travail continu de Bubba Kadane dans la peinture de ses états mentaux sinon spirituels, fait de découvertes de nouvelles possibilités sonores et d’enrichissements de sa palette hors guitare.

Jim O’Rourke semble avoir trouvé un frère de pratique, en plein décollage cosmique (“To Magnetize Money and Catch A Roving Eye”). Évidemment, on attend le retour à la guitare dans le champ de la pop mais on sait gré à Bubba Kadane de préférer ne pas empiler les albums moyens, de se nourrir et de mûrir ses compositions. Cet exercice spirituel est plus qu’un essai electro-acoustique – “Injection”(2019), “The Dark Surround” (2021) –, c’est le premier tableau de maître dans une nouvelle pratique.

Avec l’aide de Johanna D., ragawoman

“Lifespan” est sorti numériquement sur Bandcamp le 17 février 2023.

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