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Disques

En Attendant Ana – Principia

Avec un troisième album qui sait varier les allures et les ambiances, En Attendant Ana s’affirme comme l’un des groupes les plus subtils et brillants de ce pays.

C’est toujours un grand bonheur que d’assister en direct à l’éclosion d’un groupe, de suivre sa transformation, de la chrysalide au papillon. Entre le premier EP sorti en 2016 (d’abord sur cassette !) et “Principia”, nouvel album des Parisiens d’En Attendant Ana, il s’est donc écoulé environ sept ans. Ce n’est certes pas négligeable, et on peut estimer que dans ce même laps de temps, les Beatles ou les Stones ont connu une évolution un peu plus impressionnante… Reste qu’entre les essais sympathiques mais brouillons des débuts, dans un genre indie pop assez balisé, et les dix morceaux très aboutis de “Principia”, il y a quand même un saut qualitatif qui ne s’explique pas uniquement par une amélioration des conditions d’enregistrement. C’est d’autant plus méritoire que la vie d’Ana n’a pas été un long fleuve tranquille, entre les changements de personnel autour des membres d’origine Margaux Bouchaudon (voix, guitare, claviers…), Camille Fréchou (trompette, chœurs…), qui jouent également avec les excellents EggS, et Adrien Pollin (batterie), un contexte général plus favorable aux artistes solo qu’aux groupes, et la sortie du deuxième album quelques semaines avant le confinement en 2020, ce qui a forcément limité sa promotion.

Si “Principia” rappelle les deux précédents par son format taillé pour le vinyle (deux faces de cinq morceaux, ceux-ci tournant souvent autour des trois minutes), il s’en distingue d’emblée par son ton plus posé. Là où “Lost and Found” et “Juillet” s’ouvraient par des guitares rêches ou échevelées et un rythme marqué, le morceau titre du troisième album la joue plus cool, plongeant l’auditeur dans une sorte de mélancolie ensoleillée qui pourra évoquer à ceux qui ont connu les nineties la musique des merveilleux Sundays, avant un crescendo final du plus bel effet. L’un des grands atouts d’En Attendant Ana a toujours été la voix gracile et tout en nuance de Margaux et celle-ci est particulièrement mise en valeur, sur ce morceau comme sur les suivants.

Mais c’est le quintette dans sa totalité qui a fait un grand pas en avant, ainsi que le montre le plus audacieux “Ada, Mary, Diane” : de Cate LeBon à The Orielles, les membres d’EAA semblent d’être tenus à l’affût des propositions musicales les plus enthousiasmantes de ces dernières années dans un esprit de saine émulation qui exclut la copie carbone. Suivant la ligne de basse obsédante de Vincent Hivert (anciennement ingénieur du son du groupe, il a travaillé en amont sur les compositions avec Margaux), s’entremêlent dans un parfait ensemble des notes de guitare en cascade, les deux voix féminines (ou une voix doublée), le saxophone inattendu de Camille… La composition est solide, une structure couplet-refrain-pont sans coutures apparentes, mais il se dégage de l’interprétation une certaine fragilité, comme si tout ce savant édifice pouvait s’écrouler au détour d’un break. A l’unisson des textes qui expriment incertitudes et angoisses très contemporaines, envies un peu confuses d’autre chose.

Si l’harmonie règne dans ces chansons aux mélodies étincelantes, elle est toujours en trompe-l’œil. Une tension sous-jacente habite “The Cut Off”, “Anita” ou “Same Old Story”, qui renvoie autant au rétrofuturisme de Stereolab ou Vanishing Twin qu’à un certain post-punk, avec un joli concours de dérapages final entre la guitare et le sax. Mais même de titres en apparence plus légers sourd une certaine inquiétude, sans doute déjà là sur les disques précédents mais moins perceptible sous la masse sonore, qui a subi ici un judicieux élagage. Une recherche de clarté qui fait ainsi davantage ressortir les détails comme, sur la sublime ballade “To the Crush” (sommet de l’album avec “Wonder” un peu plus loin, 5 minutes et 50 secondes étourdissantes sans doute sous influence Electrelane), cette discrète boucle rythmique dont le crépitement fait penser à un jouet à ressort ou une machine à écrire et qui ajoute encore une couche de nostalgie à l’ensemble. En soignant autant le son que les chansons, En Attendant Ana a enregistré un disque fait pour durer, d’ores et déjà promis aux podiums de fin d’année.

Il reste des places pour la release party le samedi 25 mars à Petit Bain.


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