Après “Through the Looking Glass” (1983) et “Lunar Cruise” (1990), enregistré avec le clavieriste Masahiko Satoh, le label WRWTFWW poursuit son travail d’exhumation des disques de la percussionniste japonaise Midori Takada avec “Tree of Life” (1999) dans une veine néo-traditionnaliste, voire ambient crossover.
La trajectoire de Midori Takada est assez étonnante. Après un disque ambient quasi psychédélique, enregistré en utilisant tout un ensemble de percussions savantes et de bouts de ficelles, “Through the Looking Glass”, et un autre très électrique, hyper produit, “Lunar Cruise”, “Tree of Life” apparaît, à première vue, comme un retour à un traditionalisme sec, voire une épure, surtout dans sa première face, solo. C’est une exploration de son langage, centrée sur les marimbas, qui ravira tous les fans de Steve Reich, avec en supplément, une touche d’âme, très personnelle. Outre le titre d’ouverture “Love Song of Urfa”, cette première partie touche au parfait avec le titre pivot du disque, final sur la face A, “Wa-Na-Imba”, sur lequel un contrepoint de tambour vient s’ajouter au tressautant marimba. On entre dans une nouvelle dimension avec cette sécheresse et cette profondeur qui s’ajoutent aux pépiements du marimba.
Il fallait bien cet élément de transition pour permettre l’entrée en jeu du erhu de Jiang Jian-hua. Dialogue entre deux virtuoses dans leur champ certes (Jiang Jian-hua visite régulièrement l’Occident depuis sa « découverte » en Chine en 1978 par le chef Seiji Ozawa) mais on sent bien que la prédominance, le chant, est laissé par Takada à Jiang Jian-hua. On découvre, assez stupéfait, les formidables possibilités du erhu, cet instrument traditionnel chinois à deux cordes : chant lisse ou frotté, acidités, glissements et beaucoup de lyrisme évidemment. Tout le jeu de Midori Takada et de Jiang Jian-hua est de tirer ce qui sonne pour nos oreilles occidentales comme du son pur oriental et traditionnel vers des motifs et des rythmes autres, d’improviser un nouvel accord est/ouest, de jouer des dissonances et des ruptures de rythme sans tirer vers une atonalité qui incarnerait le modernisme.
Comme sur la face A, ce sont les titres incluant des percussions autres que le marimba qui attirent l’oreille, donnent davantage de champ aux compositions, “Modoki 1” et surtout “Mokodi 2” avec un final très sourd, un abandon des différentes voix pour finir sur un pur espace de vibrations graves, avec des matités chaleureuses (sans doute des peaux frappées à la main).
La conclusion “Usuyo” fait aussi un beau final, lyrique et rythmique, dans lequel le marimba vient donner de sa voix aigrelette avec de beaux aigus sautillants après avoir nimbé le début et le milieu d’un brouillard vibrant lumineux.
Comme toujours. on est soufflé par la qualité de l’enregistrement au studio Onkio Haus (dans lequel Sakamoto réalisa “Merry Christmas Mister Laurence”) et du pressage au Emil Berliner Studio. Finesse, spatialité, profondeur…. C’est sans doute le disque audiophile de 2022. Et le tote bag artisanal aux couleurs du disque est magnifique.
Ce n’est pas mon album préféré de Takada mais une belle découverte dans les possibilités renouvelées d’une utilisation contemporaine d’instruments traditionnels, avec une vraie personnalité et un jeu d’improvisation assez époustouflant.
Avec l’aide de Johanna D., e(n)rhu(ée)
“Tree of Life” (1999) est ressorti par WRWTFWW le 4 novembre 2022.