Profession de foi électronique et méthode Coué nocturne pour un Darren Hayman effondré après un divorce éprouvant. Avec ce “You Will Not Die” cathartique, plongée lente et longue dans une rupture inconsolable, Hayman est à son meilleur bien qu’au fond du gouffre.
Dans les groupes de proximité, Darren Hayman, depuis Hefner, tient une place particulière. Comme beaucoup de ces dits groupes, sa fanbase ne croîtra sans doute plus, se réduit même comme peau de chagrin à chaque disque, tenue sous perfusion artificielle à coups de rééditions savamment orchestrées et de concerts malins, tels cette double soirée Hefner à Bristol les mois passés. Heureux Anglais…
Le cas Darren Hayman mérite d’être étudié parce que, comme pour John Darnielle de The Mountain Goats, sa seconde partie de carrière, passée la fougue lo-fi de la jeunesse révèle un maître mûr de l’écriture.
Il faut sauver le soldat Hayman. D’autant qu’il ne se remet pas de son divorce. Il y a deux années, paraissait “Home Time”, popeux à souhait et renouant avec l’énergie électrique des meilleurs Hefner pour nous narrer, un comble, son divorce qui le laissait à terre. Une thérapie électrochoc pour ne pas s’apitoyer musicalement. “Home Time” était un peu passé inaperçu malgré ses évidentes qualités musicales et son pas de côté dans l’illustration thématique.
Force est de constater que la rupture ne cicatrise toujours pas et que le nocturne “You Will Not Die” en porte les stigmates tout en étant l’exact contrepoint du solaire “Home Time”. La forme courte et vive structurait le premier, le second est mélancolique et mourine dans la longueur (2 LP, 1h32 minutes). L’un était rock, faisait appel aux copains et choristes féminines, l’autre est exclusivement électronique et (quasi) solitaire.
La solitude pèse, le noir envahit tout et le pire vient la nuit. “You Will Not Die” est une invitation au voyage dans le ressassement mélancolique. C’est un album dans lequel on entre par un instrumental pathétique et dont on a du mal à sortir. Dans une époque vouée à la forme courte et au zapping culturel, et notamment musical, les 1h32 de Darren semblent une hérésie. C’est pourtant nécessaire pour rendre compte de la détresse du bonhomme et s’immerger dans la douleur.
Rassurons-nous, Darren n’est absolument pas plaintif et comme il avait su peindre son malheur sous des couleurs vives dans “Home Time”, il utilise, artistement, un ensemble de règles strictes (cf. photos de la pochette ci-dessous) et toute une palette de claviers anciens qui donnent une belle patine à l’album et qui rappellent le projet électronique The French, post “Dead Media”, mais en mode sombre et ultra-minimal (douze pistes maximum par titre).
Darren Hayman, Calimero moderne délaissé par son épouse, a perdu les belles plumes qui le faisaient voler, telles l’âme amoureuse décrite dans le Phèdre de Platon. C’est un cas de possession que décrit Hayman, qui fait écho au délire amoureux, la mania, disséquée par Socrate, que ce soit dans “Don’t Haunt Me“ ou “I Am Owned“. Possédé et dépossédé, Darren est réduit à sa plus simple expression (d’où les instruments antiques, vieillots et capricieux plutôt que vintage, fonctionnant, malgré tout, machinalement).
Hayman apparaît dans son clip comme une image fantôme, résiduelle, dans les vitrines d’un Halloween étranger (espagnol) même si c’est l’amoureuse qui est partout présente dans le texte. Darren essaie de se reprendre malgré tout, malgré l’inertie :
« I want my nights
to be like other people’s nights »
Un petit doo doo final, assez amusant pour l’auditeur, essaie de tirer le titre hors du marais moral.
C’est un Darren tout désemparé, totalement perdu que l’on trouve méthodiquement (d’où les règles) en train de ramasser ses bouts d’ego.
« I’m gonna start fires
Smaller than before
You were my map
Where do I go now ? »
– “You Were My Map”
L’aimée est toujours vue comme centre focal. Dans “You Were Always Here”, elle prend les atours de Laurie Anderson, avec un sample-semblant de voix humaine en boucle, et des beats comme battements de cœur.
«You were always here
In the bedrooms
In the hall
In the hospital »
C’est aussi, sans doute, un lointain écho à l’une des meilleures chansons de Jonathan Richman. L’anecdote est en tout cas vraiment touchante.
On retrouve également une version alternative de “Here’s the Stillness“ parue deux ans plus tôt sur un mini album qui était, semble t-il, le brouillon de “You Will Not Die”, ou du moins est aujourd’hui le bâton témoin que la situation et les sentiments d’abattement d’alors n’ont pas varié depuis.
Terrible constat d’une permanence infinie, d’une impossible réparation comme dans “Girls Who Look Like You” :
« I miss the very shape of you
Do you miss the shape of me ?
I drew a squirrel coming up the pine
It made me happy
We destroyed things
We destroyed us
I didn’t think
At all
And I ‘m sorry
Oh I’m thinking about girls
who look a little like you
Oh I’m thinking about girls
who look a little like you»
-“Girls Who Look Like You”
Le plus terrible réside finalement dans la maturité qu’expose Darren dans ses chansons. Comme nous, Darren vieillit, ses préoccupations et ses thèmes aussi (cf. Jeff Tweedy de Wilco qui après avoir montré ses plaies et dépressions est passé au stade paternel anxieux des errances filiales). En un sens, contrairement à la génération Rock‘n’Folk-Manœuvre, avec ses éternels Rolling Stones, confinés-confits dans l’espace-temps absolu des années 60, nos hérauts assument leur âge et leurs coups.
Si Darren Hayman, dans sa seconde période, contait les dragues maladroites d’adultes plus si jeunes que ça ( “Porn Shoes” ou la déception de la date entre cuisine mitonnée par l’un et « porn shoes like Kylie wore on TV » pour l’autre), il entre à présent dans la troisième phase, celle du divorce, des conversations entre amis, des tentatives fragiles de reconstruire sa vie.
C’est sans doute avec “No Lime for the Gin” qu’il est le plus touchant, dans une narration de rencontres à plusieurs voix avant de se recentrer sur la sienne, en s’encourageant à chaque pas, comme à chaque phrase. Cette concentration de souffrances, d’entraides devrait prouver à ceux qui ont laissé, un peu (beaucoup) tomber Darren en chemin qu’un grand songwriter se trouve là, à ramasser à la petite cuillère certes mais terriblement fort.
« Chrissie was 42 and never wanted kiss
They’re feeling more in love in you
Kathrin says she’s bored of pretending that she’s strong
She’s single and she is lonely and it’s hell
Beth sees in me synchronicity cause we are both divorced
We think it’s the ugliest of worst
She says she doesn’t want to be
someone’s second wife
But I say I would have another try
There’s beer in the bathtub
But no lime for the gin
Simon is asleep
And his coat
covers him
Little drinks
Helps us swing
It’s not a party
It’s a gathering
Hold my hand just a while
It’s means nothing
Or Something
When I’m tranquil
I’ll fall in love again
When I’m rested
I’ll fall in love again
When I’m safe
I’ll fall in love again
When I’m giving up
I’ll fall in love again
When I’m open
I’ll fall in love again
When I’m young again
I’ll fall in love again
When I’m true to me
I’ll fall in love again
When I’m new to you
I will call you
When I’m ready
I’ll fall in love again
But I’m ready
So maybe be my friend
When I’m finished
All of these useless words
I want to rest
Don’t want to hurt
Want to slow my heart and make the wrong thing right
I want to fall in love
One more time »
Touched down et knocked out comme on dit chez les Anglo-Saxons. Darren Hayman, champion de la petite forme, plus que jamais, touche au sublime.
Avec l’aide de Johanna D. Kylie devant la TV.
« You will not die » est sorti en numérique et en double LP et CD chez Fika Recordings le 4 novembre 2022.
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