Michel Cloup fait un retour sur lui-même et ses pratiques en enregistrant un album spontané, peu écrit mais plein de fougue et de fulgurances. Une cure de jeunesse, électrique et saccadée. Dix ans après “Notre silence” : Notre bruit.
Il y a dix ans, Michel Cloup, à l’occasion d’un deuil éprouvant, vivait une véritable résurrection musicale, presque une renaissance sous la forme de Michel Cloup (Duo).
L’ami batteur s’effaçait derrière une parenthèse, une guitare baryton prenait beaucoup de place et Michel touchait autant qu’il cognait. (Re)Disons-le sans fard, “Notre silence” est son meilleur disque, boucle d’un cycle, ouverture sur un autre.
À partir de ce disque, Michel Cloup semble avoir retrouvé une nouvelle jeunesse (“Minuit dans tes bras” et “Nous vieillirons ensemble”), culminant avec “Danser danser danser sur les ruines”, précipité de nouvelles expériences d’écriture, presque dystopiques pour coller un mot à la mode, mais assez loin de l’expérience (hem…) cathartique de “Notre silence”.
Michel Cloup n’est pas du genre à fêter les dix ans de ce terrible disque. Comme son compère Bouaziz, il serait plutôt du genre à saborder le navire (“Le Dernier Album”) mais plutôt que de s’autodynamiter à grands coups de nihilisme, Michel s’autorise une nouvelle manière : l’improvisation vocale, la prise sur le vif. Et c’est une réussite. Là où la sincérité nous prenait à la gorge, la spontanéité de “Backflip au-dessus du chaos” est contagieuse. On ne tire pas sur une ambulance parce que, comme le scénario écrit par l’incomparable Schrader pour Scorcese, elle roule à tombeau ouvert, bien décidée à avancer coûte que coûte, à couteaux tirés d’ailleurs. Les réseaux sociaux déversoirs à vomi s’en prennent plein la tronche (“Introspection”), le patriarcat aussi (“Brûle”), même si le titre est bien moins univoque que la doxa du jour. Universitaire jamais, intellectuel peut-être, sanguin sûrement.
Michel Cloup fait feu de tout bois, un peu au petit bonheur la chance, ça passe ou ça casse, souvent les deux.
S’il est souvent seul, en studio ou au salon, triturant ses machines et instruments, seul maître à bord ou presque, c’est vraiment pour castagner. “Backflip au-dessus du chaos” est sans doute l’album le plus électrique et éclectique de Cloup, velvetien à la sauce Debord.
On le sent emporté par sa fougue, quelquefois dépassé même, rattrapé par d’autres facondes comme dans “Lâcher prise”, morceau hypnotique, machinique presque, parasité par des extraits de piano free, sans doute le titre le plus bouazizien (avec en ligne de mire “1983 Barbara” et “Algérie”) de Cloup. Les interruptions musicales accompagnent les non-dits du discours qu’on sent tendu comme un arc. Il reste encore de la haine et un paquet de souffrances, non éteintes par une (anti)carrière désormais bien fournie.
Dans ce disque qui sent sa politique de la terre brulée, ou du moins la volonté de cramer ses vaisseaux, on devine aussi la volonté de clore quelque chose, au moins ce cycle terrifiant des dix années de deuil de la mère (“10 ans”). Si la pulsion de vie est à l’œuvre, brouillonne et bouillonnante, la mort est partout comme dans cet hommage à l’ami Ponthus, émouvant mais sans en faire des tonnes, terriblement juste.
“Backflip…” est un disque de combat pour ne pas oublier ses fondamentaux, ses communautés, ses valeurs. Clore le disque sur une “Internationale” enragée est un beau geste, assez inattendu en fait, là où le compagnon d’armes Bouaziz dégainait sur les “Sciences politiques”. L’un plus franc-tireur désabusé, l’autre partisan acharné. S’il manque un peu d’humour chez Cloup, on gagne en frontalité, en engagement charnel. Et cette énergie teigneuse, un peu vaine, d’homme malgré tout épuisé voire épuisant est vraiment contagieuse. Michel Cloup depuis toujours (surtout depuis Peter Parker Experience), c’est un peu nous et on est un peu tenté de dire : parce que c’était lui, parce que c’était nous.
La boucle est bouclée, Michel, c’est beau ce que tu as fait, comme un boxeur t’as avancé et on t’a suivi. On a pris les mêmes coups, piqué les même colères, tapé dans les mêmes murs. Tu étais là pour nous et nous, on l’espère, nous étions là pour toi. Allez, on en reprend pour dix ans.
Avec l’aide de Johanna D, pas encore morte mais ça viendra.
“Backflip au-dessus du chaos” sort le 18 novembre 2022 chez Ici d’ailleurs.