Le 21 février 2017, on interviewait brièvement Julia Jacklin, alors nouvelle venue dont le premier album nous avait séduit, dans la salle déserte d’un bar miteux de la rue de Lappe, juste avant ou après son soundcheck au Café de la danse. Alors au seuil d’une vie d’adulte (ses chansons tournaient beaucoup autour de ce sujet), elle ouvrait pour un artiste plus connu… mais lequel ? Alors qu’on cherche la réponse en ce soir de novembre 2022, lors de son concert au même Café de la danse (en tête d’affiche cette fois-ci, pour son troisième album “Pre Pleasure”), celle-ci nous est donnée par l’intéressée sans qu’on ait à lui demander. « Il y a cinq ans, je faisais la première partie du Canadien Andy Shauf dans cette salle. Qui était là ? », demande l’Australienne au public. Nous ne devons pas être plus de trois à nous manifester. Cinq ans plus tard, le concert est complet depuis des semaines et nous sommes entouré de fans majoritairement jeunes et féminines, capables de chanter par chœur les paroles de plusieurs chansons dans lesquelles elles se reconnaissent certainement.
Erin Rae, qui assure sa première partie, connaîtra-t-elle pareille fortune ? Pas sûr : le country-folk plutôt classique de la musicienne de Nashville, ici exécuté en solo voix-guitare, semble avoir moins d’atouts pour séduire un large public même si l’on repère quelques fans dans la fosse. Son interprétation est en tout cas sans faille et ses compositions solides, capables de soutenir la comparaison avec celles de son compatriote Kevin Morby, dont elle reprend en clôture de son court set le magnifique “Bittersweet, TN” (les deux semblent bien s’entendre car il fait un featuring sur l’une de ses chansons).
Une demi-heure plus tard, la température déjà élevée monte encore de quelques degrés quand Julia Jacklin, en robe à fleurs et soquettes blanches, arrive sur scène au son de… “My Heart Will Go On” de Céline Dion. Sincère admiration pour la Castafiore québécoise, souvenir d’un crush ado sur Leo DiCaprio dans “Titanic” ? On se perd en conjectures. Comme pour assurer la transition avec Erin Rae, et aussi pour commencer par le début, Julia joue seule “Don’t Let the Kids Win”, chanson éponyme de son premier album.
Son groupe (un guitariste, une bassiste-choriste, une guitariste-clavier et une batteuse) la rejoint pour le titre suivant, l’un des plus rock du dernier album, “Be Careful with Yourself”. Décollage immédiat : la cohésion est parfaite entre la chanteuse et ses musiciens, et le niveau de décibels très raisonnable du Café de la danse rend justice à la qualité et à la finesse de leur jeu. Le set nous réservera à intervalles réguliers des morceaux du même genre tirés des trois albums, où l’alliance des trois guitares électriques s’avérera parfaitement jouissive.
C’est un plaisir de voir et d’entendre ce groupe, notamment le guitariste William Kidman qui dégaine quelques solos particulièrement élégants, comme à la fin de “Pool Party”. Et les morceaux plus calmes et introspectifs sont tout aussi brillamment exécutés. Pourtant, la trentenaire semble un peu sur la réserve. Quand, vers le milieu du concert, une spectatrice lui crie « How are you? », elle finit par raconter qu’elle s’est fait harceler dans la rue la veille au soir (à Paris, apparemment) et qu’elle n’a pas passé une très bonne nuit… Une mésaventure qui fait écho de façon troublante aux thématiques développées dans ses chansons, notamment celles du deuxième album “Crushing”. Dont “Body”, sans doute son morceau le plus fort, le plus âpre et le plus cathartique, à la fin duquel le guitariste agite un tambourin qui sonne comme un glas.
La fin du concert sera plus enlevée, voire libératrice, les musiciens comme le public se déchaînant sur les formidables “Head Alone” et “Pressure to Party”, dignes des moments les plus excitants du rock indé des années 90, avant un rappel en apothéose avec “Hay Plain”, tiré du premier album. Les cinq repartent en coulisses sous les acclamations (on verra un peu plus tard, depuis le balcon, Julia signer quelques disques dans la salle). On peut d’ores et déjà leur prédire une Cigale ou un Trianon pour la prochaine fois. Et on sera là.
Un grand merci à Leola Tumba chez Pias.
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