Retour à la terre, bonheur familial… Bill Callahan reconnecte à la réalité et c’est une épiphanie. Mais la routine familiale use et Bill s’entoure de son fidèle Matt Kinsey (guitare) et de Jim White des Dirty Three (percussions) pour prendre la poudre d’escampette entre deux promenades en poussette, et les compositions, classico, prennent gentiment le large. Un bel album lumineux.
On a pris l’habitude de se méfier de Bilou. Icône éternelle il reste, mais prenons garde de ne pas être de béats dévôts. Il convient de séparer le bon grain (rare ces dernières années) de l’ivraie (“Gold Record” la “Blind Date”, duos avec Bonnie Prince Billy…).
C’est que le Bill est amoureux, et même papa. Le bonheur n’a jamais particulièrement stimulé la créativité de nos folkeux sensibles. On se souvient de la passade avec Joanna Newsom, d’un Bill qui quittait l’alias Smog pour un album lumineux, très pop, “Woke on a Whale Heart”, qui nous avait surpris (et pas forcément dans le bon sens) à l’époque et qu’on aurait tendance à réévaluer aujourd’hui.
Méfions-nous du bonheur donc et des albums qui se suivent pour faire vivre la nouvelle famille et sa petite maison dans la prairie…
«Shadow of my boy coming down the hall
And little sister’s hand is deep in his palm
And her feeet don’t ever touch the ground
Because everybody wants to carry her around
As we’re coming out of dreams
And we’re coming out of dreams»
(“First Bird”)
Méfiance mise à part, « YTI⅃AƎЯ » est un bon album de Bill Callahan. Peut-être le meilleur depuis “Apocalypse”. On y retrouve le talentueux guitariste Matt Kinsey dont la présence ramène à cette époque bénie où Callahan et Newsom en faisaient l’une de leur pierres angulaires sur albums et en concert. On retrouve d’ailleurs le même esprit aventureux, presque smogien, de cette époque : des cuivres, des clarinettes contralto et des synthétiseurs un peu fugueurs. Autre détail d’importance : la présence de Jim White, des Dirty Three, à la batterie, pas là pour rigoler de toute évidence.
Un groupe hyper solide donc, et qui donne une atmosphère bien plus riche que sur les albums précédents. C’est pas la folie de Smog mais clairement on regarde davantage vers les années glorieuses. Super, donc, mais on ne peut que comparer.
“Bowevil” reprend les mêmes recettes rythmiques que le titre mythique “Bloodflow”, bizarreries de guitares brouillonnes en plus. “Drainface” pourrait aussi s’être trouvé écarté de “Dongs of Sevotion” : breaks, claviers, montée dans les graves..
On sent que le groupe que Bill a réuni est là pour lui donner de l’air : un bain de folie, un hors-cadre chargé de rompre avec la monotonie d’un quotidien familial (“Naked Souls”, “Planets”). On n’est pas dans du free folk – voire du free jazz – mais on sent que les praticiens de la forme libre s’en donnent à cœur joie sur les canevas folk très classiques de Bill, de plus en plus Lee Hazlewood, en moins porté sur la chose, en plus méditatif, clairement relié avec la terre (les fumigations de sauge ne sont pas loin… “Partition”, “Lily”, “Planets”…).
Du coup, il y a beaucoup de relief derrière l’immuable guitare classique de Bill et son élégante voix de baryton. Et ce sera sans doute le meilleur groupe de tournée de Bill depuis des années (peut-être aussi fou qu’en 2011).
Globalement, les paroles sont un peu plus convenues que par le passé aussi. Bill est un heureux papa et on le préfère malheureux… du moins sur disque.
Prenons-le aussi comme un témoignage de la paternité gaga (“Natural Information”). Ce n’est pas inintéressant et nous rappelle nos propres expériences.
«All this natural information
Got me in state of deep contemplation
Of this natural information
Strolling my baby down the street
All I see is little feet
She sleeps I dream
Dream baby dream
I dream natural information»
(“Natural Information”)
Toujours au rayon vieux con, le disque a été conçu comme un album à écouter dans sa durée d’une heure. « Une heure ressemble à une année pour moi en ce moment », déclare Bill. Toute personne ayant connu le bonheur et les affres de la paternité comprendra Callahan.
C’est pour toutes ces bonnes raisons qu’on apprécie ce « YTI⅃AƎЯ », passéiste, joyeux et riche musicalement malgré ces quelques facilités d’écriture.
Avec l’aide de Johanna D., en surdose de Natural Information.
« YTI⅃AƎЯ » est sorti 14 octobre 2022 chez Drag City