Troisième album en quatre ans pour le groupe de Toronto : moins de frénésie et plus de riffs de synthé dans leur power pop indie, qui gagne en profondeur mais reste toujours aussi accrocheuse.
Kiwi Jr. est entré dans notre vie en 2021 avec son deuxième album “Cooler Returns” . Pas pour la bouleverser (ce genre de musique n’a sans doute pas une telle ambition), juste pour prouver qu’un rock mélodieux et accrocheur, modeste dans ses ambitions mais toujours inspiré dans son exécution, pouvait encore exister aujourd’hui, comme en réaction à une musique de plus en plus conçue dans des studios-labos. Les Canadiens ne sont pas les seuls, d’ailleurs : pas un jour ou presque où l’on ne découvre un groupe ou artiste remettant à l’honneur les guitares véloces et le mordant de l’indie pop des années 90.
Mais là ou certains et certaines donnent dans l’introspection, Kiwi Jr. adopte a priori une approche plus ludique. Ainsi, les titres de plusieurs chansons du nouvel album “Chopper” (sorti sur Sub Pop comme le précédent) sont de possibles références à la pop culture : “Parasite II”, “The Sound of Music”, “Kennedy Curse”, “The Masked Singer”… Le chanteur Jeremy Gaudet a aussi l’habitude de citer divers lieux de Toronto, la ville du groupe, qui ne diront sans doute pas grand-chose à ceux qui n’y habitent pas. Tout cela n’empêche pas la profondeur, voire la mélancolie qui naît du sentiment de ne pas être à sa place, celle qu’on pouvait trouver par exemple dans des chansons de Pavement par ailleurs assez insondables.
Musicalement, tout en restant dans la lignée des deux précédents, “Chopper” montre une évolution qu’on peut décrire comme de la maturité. Avec dix plages, il est plus long que “Cooler Returns” qui en comptait pourtant treize, et le dernier titre atteint même les six minutes. Moins impatients et frénétiques qu’il y a deux ans, désormais capables de composer de vraies intros et de varier davantage les dynamiques des morceaux, nos petits Kiwis ont aussi enrichi leur son sans l’alourdir. Alors qu’on naviguait jusqu’ici entre une sorte de jangle-punk nerd typiquement nord-américain et le versant le plus nerveux de la power pop – soit une matière sèche et assez basique –, la production de Dan Boeckner (Wolf Parade, Handsome Furs) donne à ces nouvelles chansons une belle profondeur de champ.
Des synthétiseurs recouvrent l’ensemble d’un léger vernis rétrofuturiste, même si dans l’idée on reste plus proche de The Rentals (le groupe de Matt Sharp, ex-Weezer, auteur du génial single “Friends of P.”) que du revival synthpop. Les chœurs de Dorothea Paas (US Girls, Badge Epoch Ensemble) apportent une langueur acidulée au détour des refrains, laissant penser que les New Pornographers avec Neko Case sont comme les Born Ruffians, autres compatriotes, l’un des modèles de Kiwi Jr. La voix de Gaudet, elle, dans son maniérisme sans excès, rappelle de plus en plus Darren Rademaker (The Tyde), et donc Lawrence de Felt.
Passé les trois premiers morceaux hyper efficaces, on perd peut-être en immédiateté ce qu’on gagne en complexité, ce qui devrait assurer une belle postérité au disque. En son cœur, le groupe se montre moins léger, entre un “Night Vision” tendu et inquiet, un “The Extra Sees the Film” fragile et un brin cafardeux, aux voix en sourdine, et un “Contract Killers” à l’atmosphère étrange et oppressante, digne de Wall of Voodoo ou Stan Ridgway en solo.
La suite nous ramène sur des territoires plus familiers, avant la longue clôture “The Masked Singer” qui, par sa façon de mêler guitares et synthés, apparaît comme la conclusion parfaite du disque. A l’heure où les albums s’écoutent de plus en plus à la découpe, Kiwi Jr. a visiblement pris la peine de réfléchir au tracklisting. Autant dire que ce groupe malin et malicieux (on vous laisse jeter un coup d’œil à leurs clips low budget) est déjà, au bout de quatre ans et trois albums, beaucoup plus que ça.
En concert le 16 septembre à Paris (Boule Noire), le 17 à Orléans (festival Hop Pop Hop), le 18 à Lille (L’Aéronef).
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