Deux ans après la sortie de leur quatrième album, le magnifique “For Their Love”, les Américains d’Other Lives foulent enfin de nouveau les planches des salles françaises. Juste avant que ne commence leur tournée, nous avons pu nous entretenir avec Jesse Tabish, l’humble et attachant leader du groupe, heureux de pouvoir revenir dans un pays qui a toujours réservé un bel accueil à sa musique.
4 mars 2020, Paris. A l’étage de la brasserie Barbès, Pias a convié les médias à une soirée de showcases pour présenter quelques albums à venir. En tête d’affiche, les Américains d’Other Lives, réduits au duo de Jesse Tabish et Jonathan Mooney, jouent une poignée d’extraits enthousiasmants de leur prochain disque, le très attendu “For Their Love”, qui doit succéder à “Rituals” sorti cinq ans plus tôt. Même si des nouvelles venues de Chine ont de quoi inquiéter, personne n’imagine alors que ce genre de rendez-vous banal où des dizaines de personnes sont rassemblées pour écouter de la musique en buvant une bière sera bientôt interdit, et que des dizaines de concerts vont être annulés ou reportés.
3 mars 2022, Paris. Deux ans presque jour pour jour après cette soirée, on retrouve Jesse Tabish, le leader du groupe, confortablement installé dans le salon d’un hôtel devant un verre de vin rouge. Sa femme Kim, qui a intégré Other Lives après “Rituals”, est assise quelques tables plus loin. Alors qu’une crise en a remplacé une autre, plus angoissante encore, la beauté et la profondeur de leur musique nous semblent plus cruciales que jamais. On commence l’entretien en demandant à Jesse comment il a vécu ce basculement dans l’incertitude. « Bien sûr, en voyant la situation, nous avons d’abord pensé à repousser la date de sortie de l’album [il est finalement paru le 24 avril 2020 comme prévu, NDLR]. Mais nous nous sommes dit que notre musique se prêtait bien à une écoute patiente et domestique, et comme les gens étaient tous coincés à maison, ils seraient sans doute dans les bonnes conditions pour apprécier le disque… Sinon, bien sûr, nos vies ont été bouleversées, et ce retour à la normale est un grand soulagement pour nous. »
Jesse raconte avoir mis à profit cette immobilisation forcée pour réécouter tout Neil Young, la période eighties de Dylan, relire ses livres préférés… et surtout enregistrer un album avec sa femme, qui devrait sortir cette année. Pas de tournées, en revanche, depuis 2016… On comprend leur joie de pouvoir enfin jouer ces morceaux en concert (voir dates en bas d’article), en commençant par la France, « un pays où nous avons un rapport très fort avec le public depuis la sortie de “Tamer Animals” il y a dix ans. J’en suis très heureux car c’est vraiment l’un des endroits du monde que je préfère ! En Allemagne ou aux Pays-Bas, nous avions quand même joué dans trois ou quatre villes, mais en France nous faisons une douzaine de dates sur cette tournée, c’est donc qu’il y a une vraie attente des fans. »
S’il pourrait être tentant de voir dans Other Lives un groupe au service de la créativité de Jesse, le fait que les crédits des chansons soient collectifs laisse entrevoir un fonctionnement plus démocratique. Concrètement, comment se passe l’écriture ? « Généralement, c’est moi qui apporte l’idée de base. En fait, pour le dernier album, j’ai même d’abord pensé à des orchestrations avant de revenir en arrière et d’écrire les chansons proprement dites. Ensuite, je présente une démo au groupe. Là, Kim va réécrire les paroles d’un couplet, Jonathan [ingénieur du son, mixeur et coproducteur avec Jesse en plus d’être membre du groupe, NDLR], reprendre un arrangement de cordes… Peu à peu, le morceau s’étoffe et prend vie. Au départ, j’ai la ligne de chant et les accords à la guitare, et au fil des apports des uns et des autres, ça devient l’œuvre d’un véritable groupe. Pour ce disque en particulier, je voulais que ce soit nous cinq dans une pièce, quelque chose d’organique. Sans laptops, mais avec une connexion humaine. »
Selon lui, “Rituals” s’était davantage apparenté à un puzzle : il avait écrit un grand nombre de morceaux, exploré beaucoup de pistes, et avait essayé de tout faire tenir dans un disque, le plus long et le plus complexe qu’ils aient réalisé. A l’origine de celui-ci, il y a un voyage en Europe suite à l’élection de Trump, en 2016. Jesse et Kim se retrouvent dans une petite ville de Sicile, Castellammare del Golfo, où ils enregistrent une dizaine de morceaux qui formeront la base de “For Their Love”.
« En vieillissant, je me sens moins attaché à la perfection, et plus à la vibe de la musique, à son âme. Je ne veux pas faire quelque chose de trop propre et carré. De toute façon, il suffit de me regarder pour voir que je ne suis pas comme ça ! », reconnaît Jesse – dont les cheveux en bataille descendent jusqu’aux épaules – dans un grand éclat de rire.
Nous ne sommes pas les premiers à lui faire remarquer que les morceaux d’Other Lives, par leurs arrangements panoramiques, rappellent beaucoup la musique de film, notamment celle d’Ennio Morricone. C’est en fait vers ce domaine que Jesse, grand amateur de scores, pensait d’abord se diriger. Avant de se dire qu’il préférait intégrer ces influences dans ses chansons et publier des disques plutôt que d’écrire pour l’écran. « J’ai quand même composé de la musique pour une pièce de Broadway, “The Price” avec Danny DeVito et Mark Ruffalo. J’ai beaucoup aimé l’expérience même si répondre à une commande, où le metteur en scène me dit ce dont il a besoin, est assez inhabituel pour moi. En fait, je suis égoïste et je préfère écrire pour moi ! » (rires)
Tous ceux qui ont vu la pochette de l’album et les clips des morceaux extraits n’ont pu qu’être intrigués, voire fascinés par cette étonnante maison avec son toit pointu à double pente, ses grandes baies vitrées et son salon transformé en pièce de musique. Les notes de pochette racontent son histoire : la bâtisse, située près de Portland, avait été construite de 1971 à 1984 par le père d’un ami de Jesse, Jedediah, aidé par des amis. Les parents décédés, celle-ci n’était plus occupée, et Jedediah était ravi d’y accueillir les musiciens qui allaient de nouveau lui insuffler de la vie, un peu à la façon du fameux Big Pink avec The Band. En la voyant, Jesse et Kim se sont dit « This is the place ». Ils l’ont habitée pendant deux ans et demi et ont même envisagé de l’acheter. « Le problème, c’est qu’il y avait des chauves-souris… Une nuit, on était au lit et les a vues voler vers nous !, raconte-t-il en riant. Et le bâtiment, en mauvais état, nécessitait de lourds travaux. Mais c’est vraiment un endroit magique, incroyable, qui représente une sorte d’utopie américaine d’avant Internet… »
Les photos montrent une maison cernée par la nature, élément important dans la musique d’Other Lives.
« A l’époque de “Rituals”, nous habitions en ville, se souvient Jesse. Nous étions tout le temps sur nos ordinateurs portables, il y avait des bars à proximité, nos amis étaient dans le coin… Je me suis dit que j’avais besoin d’un endroit plus calme, au vert, pour travailler, et ce lieu me semblait donc idéal. En fait, chaque album est différent du précédent. Là, Kim et moi venons de retourner nous installer en Oklahoma [un Etat de grandes plaines et de forêts au nord du Texas, NDLR], où j’ai mes racines, et cela devrait se ressentir dans la musique que nous allons faire. Nos deux premiers albums étaient déjà le reflet de cet environnement. »
Même si Other Lives est sans doute trop isolé pour faire partie d’une quelconque scène, on serait tenté de rapprocher le groupe d’autres formations comme Fleet Foxes, My Morning Jacket, Midlake, Grizzly Bear ou Beirut qui, après l’austérité de l’alternative country et du folk lo-fi dans les années 90-2000, ont poursuivi l’exploration des racines de la musique américaine avec des arrangements nettement plus foisonnants. Jesse opine et se souvient : « A l’époque de notre tout premier album, alors que nous n’étions que des gamins d’une petite ville de l’Oklahoma, nous avons joué dans un festival important. Nous y avons vu les Fleet Foxes qui y étaient aussi programmés… et nous nous sommes rendu compte que nous étions loin d’être aussi bons qu’eux ! Je n’écoute plus vraiment tous ces groupes aujourd’hui, mais ils ont eu une grande influence sur nous, en montrant qu’en partant du folk, on pouvait aboutir à quelque chose de plus ambitieux musicalement. Et comme nous étions totalement indépendants, sans personne pour nous dire quoi faire, nous étions libre d’expérimenter autant que nous le voulions. »
Souvent en proie au doute, Jesse nous dit être extrêmement touché par les réactions de fans qui lui disent combien ses chansons comptent pour eux. « Cela donne vraiment du sens à ce que je fais. J’ai le même rapport à la musique d’Ennio Morricone, de Godspeed You! Black Emperor ou de Sigur Rós, tous ces artistes qui ont marqué mon adolescence et qui m’emmènent toujours ailleurs. Si quelqu’un ressent le même type de lien spirituel avec la musique que je fais, c’est merveilleux. » Rassurons-le : nous sommes nombreux dans ce cas.
Other Lives en tournée française :
Lundi 7 mars : L’Antipode, Rennes
Mercredi 9 mars : Le Moloco, Audincourt
Jeudi 10 mars : La Laiterie (Club), Strasbourg
Vendredi 11 mars : L’Astrolabe, Orléans
Samedi 12 mars : Le Trabendo, Paris
Lundi 14 mars : La Coopérative, Clermont-Ferrand
Mardi 15 mars : L’Atabal, Biarritz
Mercredi 16 mars : Krakatoa, Mérignac
Jeudi 18 mars : L’Epicerie Moderne, Feyzin
Vendredi 19 mars : Rockstore, Montpellier
Photos : Vincent Le Doeuff, V.A.
Jesse Tabish (Other Lives) la joue solo – POPnews
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