Trois ans après sa magnifique doublette d’albums de 2019, Big Thief revient avec “Dragon New Warm Mountain I Believe in You” sur lequel le groupe continue à explorer les territoires infinis de l’americana et du folk. Un (double) album écrit sur la route, 20 titres choisis parmi les 45 couchés sur bande par les quatre musiciens, lors de quatre sessions d’enregistrements différentes, dans quatre lieux différents. Massif sans être lourd, disparate et pourtant très cohérent : le cru 2022 de Big Thief est une réussite.
Selon toute vraisemblance, Big Thief n’aime pas la mode, et donc ne la suit pas. On annonce la mort du support album, le groupe en sort deux dans la même année en 2019. Génération zapping ? Big Thief sort en 2022 un bon gros double album, 20 titres et plus d’une heure et quart en tout. Il aura fallu près de cinq mois de création, entre New York, le Topanga Canyon en Californie, les Rocheuses et Tucson en Arizona, pour « encapsuler les différents aspects de l’écriture d’Adrianne (Lenker) », selon les termes du producteur et batteur du groupe, James Krivchenia. Le doublé miraculeux “Two Hands” / “U.F.O.F” de 2019 nous avait appris une chose, en dehors du talent évident perceptible dès leur premier effort “Masterpiece” (2016) : derrière la tête pensante de la chanteuse, il y a des musiciens, et des sacrés musiciens.
La sortie de l’excellent album de la chanteuse en 2020 (“Songs & Instrumentals”) pouvait nous faire craindre que ce “Dragon…” en soit la simple suite. Il n’en est rien, malgré quelques titres qui portent clairement la touche d’Adrianne Lenker seule : le superbe morceau d’ouverture “Change”, l’éponyme “Dragon New Warm Mountain I Believe in You” ou encore “Promise Is a Pendulum” où l’on sent la leader du groupe en paix avec ses démons. Et des démons, elle en a connu lors de ces dernières années confinées, entre rupture amoureuse et isolement.
Et lorsque les quatre fantastiques sont réunis, la « magie » opère toujours, comme le rappelle souvent Adrianne dans ses interviews. Chacun a pu exprimer sa propre sensibilité et par conséquent, le champ d’exploration dépasse les frontières de la pop-folk ou du rock pour s’aventurer sur un terrain parfois plus “roots”. Avec son violon ensorcelant et sa guimbarde, “Spud Infinity” sonne à la fois comme un classique immédiat et comme une captation sur le vif, à la prise de son plutôt brute. Une ambiance sans chichis, un peu bastringue (nos lecteurs les plus pointus penseront peut-être aux merveilleux Poi Dog Pondering), que l’on retrouve un peu plus loin sur “Red Moon”. Classique immédiat également, le superbe “Time Escaping”, fabriqué de bric et de broc, tient miraculeusement en place.
Americana, folk, rock, country et même quelques touches d’électro (l’enfantine “Wake Me Up to Drive” – souvenir de tournée ?) voire de trip-hop sur le sublime “Blurred View”. Aucun temps mort dans ce double album qui passe à grande vitesse. Difficile de ne pas être envoûté par la ritournelle “Sparrow”, revisitant le mythe d’Adam et Eve, ni d’être charmé par la flûte et la mélodie de “No Reason”, un autre sommet. Malgré de nombreux titres à fort potentiel tubesque (“Simulation Swarm”, “Blue Lightning”), ce “Dragon…” qui a parfois des allures de document sonore n’a pas l’évidence des jumeaux de 2019. Mais gageons qu’à chaque nouvelle écoute, il se révèlera peu à peu.
Sincère, fragile, touchante, la musique de Big Thief est hors du commun, et c’est pour cela qu’on l’aime. « What should we do now? », peut-on entendre à la toute fin de l’album grâce au micro laissé ouvert. Que le groupe continue à se poser cette question est la meilleure des nouvelles.