Après un bouleversant premier album, la jeune Américaine Lindsey Jordan alias Snail Mail revient avec un second qui, malgré sa sensibilité toujours intacte, déçoit considérablement avec sa pop formatée et superficielle qui semble taillée pour la radio.
Pour commencer, il convient d’effectuer un retour en arrière. Au tout début de l’année 2017, sur Sister Polygon, le petit label créé par le groupe américain Priests, est sortie en single une chanson qui a tout de suite fortement marqué les esprits. La chanson en question s’intitulait “Thinning” et elle était l’œuvre de Lindsey Jordan alias Snail Mail. Cette jeune femme, cette adolescente même, âgée alors de seulement dix-sept ans et encore au lycée, fait une entrée fracassante dans la cour des grands avec cet authentique hymne indie. Il figurait déjà sur un premier EP intitulé “Habit” et sorti quelques mois plus tôt sur Sister Polygon. Ce titre et cet EP qui démontraient déjà le vrai talent musical de la jeune Lindsey ont immédiatement attiré l’attention des médias et des labels qui ont été nombreux à vouloir signer cette nouvelle artiste. Le choix de l’Américaine, originaire de la banlieue de Baltimore, s’est finalement porté sur le label Matador.
C’est donc sur Matador qu’est sorti en 2018 “Lush”, le premier album de Snail Mail. Un disque magnifique où, avec un mélange de candeur, d’enthousiasme et d’une étonnante maturité, elle exprimait, dans un souffle aussi épique qu’impudique, un romantisme déchirant au travers de paroles sans filtre. Avec des phrases fortes et définitives comme “I’ll never love anyone else” ou “Tell me that I’m the only one”, l’impulsivité et l’excès propres à la jeunesse étaient frappants mais on ne pouvait surtout qu’être charmé par son implication sans retenue dans ces histoires de passions dévorantes, chez elle qui préfère les femmes. En réalité, avec ce premier album comme avec l’EP qui l’avait précédé, nous étions face à d’immenses vagues émotionnelles capables de submerger même le plus placide des mélomanes. Il n’est pas exagéré de dire qu’avec ce début de carrière, Snail Mail se plaçait au niveau des plus grandes, que ce soit PJ Harvey, Cat Power ou encore Liz Phair à qui on l’a souvent comparée. Il est peu de dire que la jeune chanteuse ne pouvait susciter que d’énormes attentes pour la suite de sa carrière.
Après avoir commencé à composer de nouvelles chansons en 2019 et 2020, Lindsey Jordan a justement fini par céder à la pression, elle qui était placée en fer de lance de la nouvelle scène féminine indie rock, aux côtés de Soccer Mommy, Mitski ou Japanese Breakfast. Sa consommation de substances pour supporter le succès l’a en effet obligée à faire une cure de désintoxication de six semaines en Arizona, en novembre de l’année dernière. Elle en a profité pour reprendre des forces avant d’attaquer l’enregistrement de ce nouvel album. Pour cet enregistrement réalisé au début de cette année, elle a travaillé avec Brad Cook, producteur connu pour avoir collaboré avec Bon Iver et Waxahatchee notamment, dans le petit studio que celui-ci possède en Caroline du Nord.
A l’écoute du disque qui en résulte, et surtout en comparaison avec ce que Snail Mail nous avait proposé jusqu’à présent, la déception ne peut qu’être grande. Après la flamme bouleversante portée par l’Américaine sur son premier album, nous avons droit ici à une musique plus formatée où l’insignifiant le dispute souvent au médiocre. Alors, il est certain qu’avec ses premiers disques, Snail Mail se plaçait directement dans la tradition indie rock 90’s et qu’avec ce nouvel opus, elle présente une musique plus moderne, un son plus actuel où samples et synthés se taillent une part de choix. Il est également incontestable que la toujours jeune Lindsey (elle est maintenant âgée de vingt-deux ans) délivre des paroles encore émouvantes à propos d’histoires d’amour vécues intensément. Ces paroles sont ainsi émaillées de déclarations touchantes comme “I’m nothing without you”, “I’ll never find a love like this” ou tout simplement “I adore you”. La sincérité et l’émotion sont donc toujours de mise mais dans un environnement musical clairement plus aseptisé. D’ailleurs, si on compare les pochettes des deux albums, il est saisissant de constater qu’une photo où elle apparaît toute élégante et apprêtée succède à une autre où elle était beaucoup plus simple et naturelle, comme si elle cherchait maintenant à plaire au plus grand nombre.
Toujours est-il que ce nouvel album se résume finalement à une succession de pop songs taillées pour la radio, dans une ambiance nettement plus mainstream cherchant à gommer toutes les aspérités. Que ce soit avec “Valentine” et son refrain de stade, “Ben Franklin”, tentative R’n’B assez commerciale, ou “Forever (Sailing)”, ballade déjà entendue mille fois, il est difficile de réussir à sauver une chanson. Il y a bien quelques morceaux acoustiques où sa sensibilité exacerbée pourrait encore nous toucher. Mais ceux-ci, qu’ils s’intitulent “Light Blue” ou “Mia”, sont plutôt plombés par des arrangements de cordes qui veulent trop embellir voire dramatiser des chansons qui auraient mérité plus de simplicité. Du reste, ces orchestrations ne vont pas trop avec la voix de Lindsey Jordan qui en arrive à déborder du cadre ainsi fixé. Justement, sur cet album, il n’y a guère que sa voix qui conserve cette humanité et cette exubérance qui nous avaient tant touchés auparavant.
L’apparente volonté de Snail Mail de faire plus actuel et plus produit amène donc à un résultat vraiment superficiel, où la sophistication recherchée ne convient pas à l’intensité et la conviction toujours à l’œuvre chez cette jeune artiste. On ne sait pas de quoi demain sera fait mais il est évident que cette dérive poptimiste ne laisse rien augurer de bon pour l’avenir. En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’avec ce “son pop-rock”, elle est mûre pour passer sur RTL2.
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