Avec son deuxième album aux histoires personnelles brutes et à la mise en son soignée, la Montréalaise Ada Lea se hisse au niveau des plus grandes autrices-compositrices-interprètes nord-américaines actuelles.
Dire en préambule qu’Ada Lea est une artiste anglophone de Montréal pourrait emmener le lecteur sur une fausse piste, celle d’une scène qui a produit l’une des musiques les plus vitales de ce début de siècle (Arcade Fire, le label Constellation…) et qui semble aujourd’hui un peu en sommeil. L’expression individuelle, plutôt intimiste, de la singer-songwriter Alexandra Levy (son vrai nom), qui se décrit aussi comme peintre et plasticienne sur son Bandcamp, semble somme toute bien éloignée du souffle collectif animant les formations les plus notables de la ville. L’ancrage à Montréal a toutefois son importance, puisque sa géographie – et particulièrement certains lieux du quartier Saint-Denis – irrigue l’ensemble des chansons de ce deuxième album, également inspirées, nous dit-on, par le cycle romanesque à succès d’Elena Ferrante.
Les titres (“damn”, “can’t stop me from dying”, “violence”, “hurt”… le tout en bas de casse) ne laissent guère de doutes sur la dimension cathartique des chansons, même si toutes les paroles ne sont pas forcément autobiographiques. Mais “One Hand…” n’a heureusement rien d’un déballage complaisant, d’un concentré de mal-être pénible à écouter. Ce qui frappe d’emblée, c’est au contraire la faculté qu’a Ada Lea à rendre sa musique immédiatement séduisante sans que celle-ci n’apparaisse jamais facile ou putassière. Entrée en matière idéale, “damn”, récit d’un réveillon plus déprimant que festif, offre ainsi une version indie du soft rock où l’on trouve tout de suite ses marques. S’y pose une voix qui, après nous avoir agrippé en douceur, ne va plus nous lâcher pendant 40 minutes, et dont la légère fêlure ne peut que provoquer l’addiction. Même si les deux chansons ne se ressemblent pas vraiment, “damn” nous fait un peu le même effet que le génial “Too Beautiful to Work” des Luyas – un groupe montréalais, d’ailleurs – il y a dix ans.
Tout aussi réussi, “can’t stop me from dying” aiguise les angles dans un registre new wave qui peut aussi rappeler les premiers titres de Santo/igold. “oranges”, qui suit, se déploie sur une voluptueuse ligne de basse et nous convainc que vocalement et mélodiquement, Ada Lea est de la trempe des Sharon Van Etten, Angel Olsen, Julia Jacklin, Adrianne Lenker (Big Thief), Courtney Barnett, Phoebe Bridgers (même producteur), voire Chan Marshall.
Sans jamais trop s’éloigner d’une conception classique du songwriting, Levy a l’intelligence de varier les approches, les styles. “saltspring”, jolie ballade folk-pop à la Laura Veirs, se termine par un ralentissement progressif de la bande qui transforme complètement la voix et rend son genre indéterminé. “backyard”, beau et profond comme du Barbara Gosza, combine prise de son un peu lo-fi (comme si la chanteuse avait enregistré dans sa chambre en essayant de ne pas déranger les voisins) et magnifiques arrangements de cordes. Ailleurs, la finesse de la production sonore est digne des derniers albums de Lana Del Rey même si Ada Lea ne joue pas sur le même glamour sombre.
Le disque se referme sur le déchirant “hurt” (« I could say it or say nothing at all/Take a walk or take none at all/Get on a bus back to Montreal/Make a plan or plan nothing at all »), qui confirme que malgré tous les rapprochements qui nous sont venus à l’esprit – c’est inévitable pour un(e) artiste qu’on découvre –, la Canadienne a déjà trouvé sa propre voie et sa propre voix. Et on ne serait pas étonné qu’elle devienne l’une des créatrices majeures des années qui viennent.
Bilan 2021 – Les tops individuels – POPnews
[…] Ada Lea – One hand on the steering wheel the other sewing a garden […]