Formé en 2013, le groupe brestois Bantam Lyons (du nom d’un personnage du roman “Ulysse” de James Joyce) distille, depuis près d’une décennie donc, un séduisant postpunk lourd et organique, jamais exempt d’un certain lyrisme. Cela s’était déjà manifesté sur leurs premiers EP ainsi que leur premier album “Melatonin Spree” sorti en 2016. Après quelques années de pause, le quintette revient maintenant avec un nouvel album. Celui-ci s’intitule “Mardell” et sort précisément aujourd’hui, conjointement sur le label brestois Music From The Masses et l’américain Gezellig Records. Pour en parler, le groupe nous a reçus mi-septembre, quelques heures avant un concert plein de tension et, en même temps, de totale maîtrise, dans la salle de La Carène à Brest. Rencontre avec le chanteur et guitariste Loïc Le Cam, le bassiste Maëlan Carquet ainsi que le batteur Clovis Le Pivert, pour évoquer cet album qui marque une véritable progression dans la carrière de Bantam Lyons.
Ce soir, c’est le premier concert de la tournée qui accompagne la sortie de votre album. Comment vous sentez-vous quelques heures avant de monter sur scène ?
Loïc Le Cam : On a un peu hâte parce qu’on a juste fait deux ou trois concerts cet été dans des fêtes de copains, de manière informelle. Ce soir, c’est le premier concert en salle depuis deux ans. Donc, on a hâte vu que, en plus, c’est à la maison.
Votre premier album est sorti en 2016. Le second sort maintenant. Qu’est-ce que vous avez fait entre-temps ?
Maëlan Carquet : Loulou (le surnom de Loïc Le Cam, ndlr) et moi, on a d’autres projets dans lesquels on joue. Loulou était batteur dans Lesneu (autre excellent groupe brestois, ndlr) et il a fait une formation intensive en breton qui a duré six mois. Donc, on a quand même fait des choses à côté avant de se remettre la tête dans Bantam Lyons. En fait, l’album a été enregistré durant tout l’été 2019 et il était prêt à peu près pour l’hiver, même si on a mis beaucoup de temps à le mixer. Normalement, il aurait dû sortir fin 2020. Finalement, avec la pandémie et tout ce qui s’est ensuivi, il ne sort que fin 2021. Donc, il y a vraiment eu trois ans de pause entre guillemets, où on a quand même composé des morceaux, chacun de notre côté. On se voyait juste un peu de temps en temps pour alimenter le groupe.
Il y a eu des changements dans le groupe depuis le précédent album ?
Oui, il y a Nicolas qui était avec nous, aux claviers. Il était parti habiter à Londres. Il est revenu, on l’a donc réintégré dans le groupe. Maintenant, on est cinq. Il y a aussi Clovis qui remplace Samuel, notre ancien batteur parce que lui a arrêté pour des raisons personnelles.
Clovis Le Pivert : Par contre, je n’ai pas joué sur l’album. Je suis juste là pour le live.
Au moment d’entrer en studio pour enregistrer ce nouvel album, quels étaient votre état d’esprit et vos envies ?
Loïc Le Cam : C’est assez différent parce que, pour une fois – par rapport aux EP et à l’album qu’on a enregistrés avant, où on s’était retrouvés dans des studios professionnels et où, personnellement, je ne me suis jamais trop senti à l’aise, dans ce genre de contexte -, on avait envie de faire un peu tout nous-mêmes. A l’époque, Maëlan habitait dans une maison à la campagne à côté de Rennes, avec une grande cave. Avec son coloc, ils ont acheté plein de matos. Du coup, on s’est retrouvés dans cette maison pendant quasiment deux mois, où on avait un peu nos horaires, notre façon de travailler… C’était hyper confortable parce qu’on n’avait pas la pression de louer un endroit, de faire rentrer des trucs à tout prix.
Maëlan Carquet : On pouvait travailler de jour comme de nuit, c’était assez agréable.
Loïc Le Cam : Pouvoir ne rien faire de temps en temps, c’était vraiment un luxe. C’était très agréable d’être là pour enregistrer de la musique et ne pas avoir l’impression d’aller travailler, de turbiner pour terminer dans un temps imparti. Le fait que ce soit fait un peu à la maison comme ça, avec du bon matos mais pas le matos pro sur lequel on avait enregistré avant, il y a un grain qui ressort dans l’album. On voulait un truc un peu plus brut, un peu plus direct. C’était vraiment une envie qu’on avait au niveau du son, non seulement sur la démarche de l’enregistrement, mais aussi sur l’objet final.
Maëlan Carquet : Cela nous a permis d’expérimenter aussi et de prendre le temps de le faire, chose qu’on ne peut pas vraiment faire quand on paye des heures de studio. Dans ces circonstances, il faut vraiment que nos morceaux soient en place. Là, on arrivait avec des ébauches, on enlevait, on rajoutait des choses… On a pu se permettre tout ça, et c’était quand même assez agréable de pouvoir ne serait-ce que virer des trucs parce qu’on avait plus de morceaux que nécessaire. On les a enregistrés quand même mais, à force d’essayer, on en a jetés quelques-uns parce que ça ne marchait pas, ou ce n’était pas le bon moment ou le bon endroit.
Cela fait que, globalement, vous êtes satisfaits du résultat obtenu ?
Oui, beaucoup plus que pour le premier album bizarrement, parce que ce n’était pas du tout la même démarche aussi et qu’on avait alors été un peu pris de court. C’était des morceaux qu’on jouait, pour la plupart, en live depuis pas mal de temps. Quand on les a enregistrés, on était déjà un peu fatigués de ces compositions-là. Avec le nouvel album, quand on a enregistré les morceaux, on ne les avait jamais joués ensemble. C’était un peu nouveau, donc c’était assez chouette. Et on est arrivés sur quelque chose dont on voulait vraiment, une esthétique particulière.
En parlant d’esthétique visuelle cette fois-ci, concernant la pochette du disque, où a été prise cette photo ? Et qu’est-ce qu’elle représente ?
Loïc Le Cam : C’est le monument américain du cours Dajot, ici à Brest. On n’avait pas trop d’idée pour la pochette mais un copain à nous, Simon Magadur, qui jouait de la basse dans Lesneu jusqu’à il y a peu de temps, fait beaucoup de photos argentiques. En tombant sur cette photo du monument américain, je me suis dit que ça ferait une putain de pochette d’album parce que, quand on n’est pas de Brest, on ne sait pas exactement ce que c’est. Cela pourrait être un minaret ou une construction médiévale… La photo elle-même, on ne sait pas trop à quelle époque elle a été prise. Je trouvais intéressant que ce soit quelque chose d’assez massif mais, en même temps, un peu mystérieux.
Si on rentre plus à l’intérieur du disque, de quoi parlent vos chansons ?
Avant, je parlais de beaucoup de choses assez personnelles. Là, j’essaye de me détacher beaucoup plus des textes et de rentrer dans un langage un peu plus poétique, de moins dire les choses frontalement, de passer par des métaphores et de l’intertextualité, de brouiller les pistes, en gros. Après, les thèmes restent assez classiques. Cela parle un peu de moi et des gens autour de moi, toujours de façon un peu détournée. Mais il n’y a pas de thème général qui se démarque, de ligne directrice qui court dans tous les morceaux. Il y en a un qui parle d’un fait divers dont j’ai entendu parler, un autre qui parle d’amis à moi à qui il arrive des trucs, etc. Ce n’est pas un album concept.
Concernant le clip de “Pintor”, ces pintes de bière qui se baladent un peu partout en Bretagne, c’était quoi l’idée derrière tout ça ?
Clovis Le Pivert : C’est moi qui l’ai réalisé avec Maëlan. “Pintor”, ça m’a fait penser à des pintes, mais ça veut dire peintre en fait. Je n’ai su ça qu’après. Comme un con, je ne savais même pas que ça voulait dire peintre (rire général). Maëlan m’a dit qu’il fallait un clip. Je lui ai alors proposé de filmer des zooms sur des pintes de bière. Du coup, on a été faire ça. Pendant cinq jours, on a traversé toute la Bretagne. On a fait une boucle en partant de Nantes et on a fini à Rennes. Cela n’a pas vraiment de lien avec la musique mais c’est original.
L’album sort conjointement sur les labels Music From The Masses et Gezellig Records. Comment ça s’est fait d’arriver sur ces deux labels-là ?
Loïc Le Cam : Music From The Masses, on les connait quand même depuis assez longtemps. Ce sont des gens qu’on croise depuis des années. Je ne sais plus exactement comment ça s’est fait avec eux…
Maëlan Carquet : Il y a Lesneu qui a été chez eux dans un premier temps. Moi je joue dans un autre groupe qui s’appelle Tropique Noir, et c’était la première sortie de Music From The Masses. Il y a pas mal de nos copains qui commençaient à travailler avec eux. Une fois qu’on avait terminé les démos de l’album, on les leur a envoyées et ils ont beaucoup apprécié. Ils nous ont dit que, si on était partants, ils voulaient bien travailler avec nous. Le temps est un peu passé, on se posait la question avec Loulou de savoir si on allait vraiment le sortir avec eux ou pas. Finalement, on leur a juste posé la question et ils nous ont dit qu’ils étaient d’accord et c’était parti, ça s’est fait comme ça. Pour le label américain Gezellig, c’est le dirigeant du label qui nous a contactés sur Internet parce qu’il avait écouté la playlist d’un copain à nous qui s’appelle Victor Laplanche, et qui a été en stage ici à La Carène d’ailleurs. Il y avait un titre à nous dedans et il nous a contactés comme ça, en nous disant qu’il aimerait bien faire un pressage de vinyles avec notre disque. Du coup, on a mis les deux labels en relation et ça va donc sortir sur le territoire américain.
Tout à l’heure, on parlait d’un son plus brut. Pour ma part, à l’écoute de ce nouvel album, je trouve qu’il est plus grave et plus lourd que le précédent, mais aussi avec des rythmes plus variés. C’était ce que vous recherchiez ?
Loïc Le Cam : Je trouvais qu’on s’était beaucoup reposés sur ma voix pendant longtemps. Là, l’idée, c’était qu’on voulait laisser beaucoup plus la place aux instruments. De par la musicalité, on voulait créer des atmosphères, des ambiances. On s’est laissé beaucoup plus de liberté là-dedans, en écartant un peu le format classique avec des accords où je chante par-dessus. Je trouve que c’est pour cette raison que ça sonne plus varié et peut-être plus pesant aussi parce qu’il y a une atmosphère qui s’installe et qui change. C’est moins des formats pop comme on faisait avant. C’est surtout ça, la grosse différence.
A propos de votre musique, on parle un peu de postpunk notamment. Personnellement, avec ta voix, ça me fait plus penser à des groupes comme Grizzly Bear ou Local Natives. Ce sont des groupes qui vous plaisent et qui vous ont influencés aussi ?
Maëlan Carquet : Oui, on écoute beaucoup de pop, mine de rien. On n’est pas concentrés que sur du postpunk du début des années 80. On écoute vachement ce qui se fait aujourd’hui, que ce soit de la pop, du postpunk, du rock classique… On est un peu à l’écoute de tout ce qui se passe.
Je relevais les différences entre les deux albums. Mais les deux albums ont quand même un point commun. Pour les deux, il y a systématiquement un long morceau pour finir. Sur le premier album, c’est un morceau de plus de huit minutes et, sur le deuxième, un de plus de dix minutes. Pourquoi avez-vous fait ça sur les deux albums ?
Pour le deuxième album, le dernier morceau est un peu nourri d’une frustration. Sur le premier album, on avait écrit un morceau qui faisait sept ou huit minutes, mais le label nous avait déconseillé de le mettre sur le disque. Or, c’était un des morceaux qu’on préférait sur l’album. Finalement, on l’a sorti en maxi plus tard, il n’est sorti que sur le territoire britannique et je crois qu’on a fait trois ventes de ce vinyle (rires) ! Du coup, on se disait que, sur le deuxième album, il fallait vraiment qu’on mette un long morceau. Puis, l’idée de le mettre à la fin, c’est surtout pour une raison pratique. Tu ne vas pas le mettre au milieu de l’album, c’est soit en intro, soit en outro. Cela passe mieux à la fin, surtout que ce sont des morceaux assez émotionnels et intenses. Du coup, ça marche bien pour clôturer un disque.
Pour la scène, vos morceaux vont-ils évoluer, que ce soit ceux de vos albums ou des EP que vous avez sortis ?
Loïc Le Cam : On ne joue que deux vieux morceaux. Tout le reste, ce n’est que le nouvel album. Pour l’instant, ils n’ont pas changé tant que ça, il y en a juste un qui a vraiment changé. On n’a pas trop eu l’occasion de se confronter à un vrai public, on ne sait pas encore trop ce qui marche ou ce qui ne marche pas, ça va s’affiner au fur et à mesure des dates. Mais, pour l’instant, à part un, les morceaux n’ont pas tant ça changé par rapport à l’album, c’est juste peut-être plus bourrin sur scène fatalement.
Vous avez donc quelques concerts pour promouvoir l’album. Qu’est-ce que vous avez prévu pour la suite ?
Maëlan Carquet : On attend d’abord la sortie de l’album. Pour l’instant, on a quelques dates qui sont calées depuis un certain temps. Ce sont les dates qui vont être là pour l’automne mais on espère aussi un peu avoir des dates qui vont suivre au printemps, peut-être à l’été, avec la sortie de l’album. On ne sait pas trop pour l’instant. Je pense que, assez rapidement, on va enregistrer soit un nouvel EP soit un nouvel album. L’idée, c’est de prendre un peu moins de temps qu’entre le premier et le deuxième album parce que, mine de rien, cinq ans, c’est assez long. C’est ce qu’on s’était dit avec Loulou, ce serait cool qu’on ne traîne pas trop pour sortir un autre disque, et qu’on reste un peu dans cette dynamique-là de, si on a la foi, sortir des morceaux assez vite, en restant toujours dans un processus d’enregistrement où on investit des lieux avec le matériel dont on a besoin, sans forcément chercher à avoir le meilleur matériel avec le meilleur son.
Il semble que ça vous ait beaucoup plu, le fait d’avoir un lieu, comme tu dis, et de pouvoir y passer du temps, d’y enregistrer comme vous voulez…
On était à la recherche de ça depuis le départ mais, mine de rien, ça demande quand même beaucoup d’investissement, d’acheter du matériel d’enregistrement. Avec les années, on a acquis des compétences d’enregistrement et de mixage, et acquis du matériel bien sûr aussi. On a même acquis des compétences pour fabriquer des panneaux de traitement acoustique, des choses comme ça. Ce n’était pas que de l’enregistrement de musique.
Pour finir, une dernière question qui n’a rien à voir avec la musique. En faisant des recherches sur Internet pour préparer cette interview, j’ai vu que vous aviez accordé une interview à So Foot, il y a quelques années. Je voulais donc savoir si vous êtes toujours fans du Stade Brestois…
Loïc Le Cam : Oui, carrément ! Je suis toujours abonné, même si je n’habite plus à Brest. Cette saison, je n’ai pas encore pu aller au stade. Avant la pandémie, cela faisait trois ou quatre ans que j’étais abonné. Mais je les suis toujours à fond, c’est mon club !
Photos : Richard Billon et Simon Magadur