POPnews propose une série estivale, histoire de (re)découvrir quelques trésors cachés. Des disques précieux, parfois oubliés, qui méritent d’être explorés de nouveau, et peuvent encore nous toucher, aujourd’hui comme hier. Troisième épisode de cette série, avec « Rise Above », premier album et chef d’oeuvre d’Epic Soundtracks, publié en 1992.
Epic Soundtracks, comme un nom de groupe idéal, cachant en réalité un seul homme, Kevin Paul Godfrey. “Rise Above”, sa pochette laissant apparaître le visage en noir et blanc, brumeux de son auteur, restée tout à la fois proche et indéfinissable pendant toutes ces années. “Rise Above”, premier essai publié en 1992, et sommet d’une maigre discographie ne comptant que trois albums et un recueil posthume de démos. Une courte vie musicale, alors que la flamboyance contenue à plus d’un titre dans ce premier disque solo pouvait laisser augurer, pour son auteur, un avenir radieux. Loin s’en faut, “Rise Above” et ses successeurs ne connaîtront que des succès d’estime, avant qu’en 1997, la mort n’emporte Kevin à l’âge seulement de 38 ans.
Remontons le fil de l’histoire. Originaire de Birmingham, le pianiste aguerri connaîtra plusieurs vies musicales, loin des lumières, jouant d’abord un rôle de passeur décisif auprès de plusieurs générations de musiciens. Avec son frère – et autre artiste culte – Nikki Sudden, il fonde dès l’âge de 13 ans les Swell Maps. Nous sommes en 1972 et l’Angleterre découvre évidemment le Bowie de “Starman”, qui influencera les frères Godfrey comme nombre de teenagers apprentis musiciens. Les Swell Maps traversent ainsi la décennie 70, d’expérimentation en expérimentation, pour, dans ses dernières années, s’inscrire pleinement, dans ce mouvement post-punk forcément hétéroclite, aux côtés d’un groupe-ami passé lui aussi à la postérité : Television Personalities. A les réécouter aujourd’hui, on mesure combien les Swell Maps ont pu, avec la voix de leur chanteur et leur mille-feuilles électrique, annoncer la formule développée quelques années plus tard par les Ecossais de Jesus & Mary Chain ou celle, encore plus abrasive, de Sonic Youth (Lee Ranaldo rendra même la politesse à son aîné en participant à “Rise Above” le temps de son premier titre).
Après la séparation du groupe, Kevin traversera les années 80 avec des fortunes diverses, publiant en 1981 un 45-tours chez Rough Trade, jouant avec plusieurs formations, comme les Australiens de Crime and the City Solution. C’était avant “Rise Above”, véritable acte de naissance pour lui en tant que songwriter. Qu’il soit ici accompagné par Lee Ranaldo, J Mascis ou Rowland S. Howard s’avère finalement anecdotique, tant s’y déploie un univers musical à la singularité désarmante.
A les écouter, l’on peut mesurer combien les compositions d’Epic Soundtracks ont pu être arrachées l’une après l’autre à son imaginaire. Disque hors du temps mais pouvant être rapproché de quelques aînés (Randy Newman par exemple), véritable théâtre de l’intime, il se fait tour à tour flamboyant puis puissamment introspectif. La voix de Kevin s’y révèle d’une proximité souvent désarmante. D’entrée, “Fallen Down” donne le ton, par l’évidence de sa mélodie, ses effets de rupture et sa progression instrumentale brillante. Littéralement : un art de l’envol. Suit “Farmer’s Daughter”, ses cuivres enlevés au service d’une chanson tout aussi mémorable. Puis “Ruthless” et “Everybody Else is Wrong”, où piano et voix règnent en maître. Plus loin, “Big Apple Graveyard”, d’une beauté inouïe, dit toute la fascination de Kevin pour New York, ville-lumière, comme l’écho à peine voilé de ses comédies musicales 60’s.
Jusqu’à sa conclusion, le disque alterne entre des plages calmes et des montagnes russes – parfois à l’intérieur d’un même titre -, passant de l’introspection à l’expression débridée. Chez Epic Soundtracks, la sentimentalité se pare ainsi d’atours brillants, comme dans le diptyque “She Sleeps Alone” et “Love Fucks You / She Sleeps Alone”, chefs-d’œuvre d’émotion retenue, puis libérée, où le récit de Kevin se fond dans une vague instrumentale, pour disparaître en un fade out inoubliable. Cinématographique, puissamment émotionnelle, la musique d’Epic Soundtracks n’a pas fini d’habiter nos jours, et plus encore, nos nuits. Là où les fictions savent étendre leurs toiles, pour ne jamais nous relâcher.
ignatus
J’ai tellement aimé ce disque…