Avec son premier album, le trio caennais Veik envoûte complètement avec sa musique sombre et oppressante, entre krautrock et post-punk.
Sur une batterie au rythme régulier, des modulations de synthé avancent progressivement pendant qu’une voix grave égrène des paroles obscures. Puis, le rythme s’accélère, répétitif et entraînant, et contribue ainsi, dès le départ, à complètement ensorceler l’auditeur. Avec “Difficult Machinery”, le morceau d’ouverture, on est donc tout de suite mis dans l’ambiance, une ambiance sombre et envoûtante qui va durablement marquer de son empreinte l’intense expérience sensorielle que constitue le premier album de Veik.
Ce trio caennais, formé par Boris Collet, Vincent Condominas et Adrien Legrand, avait déjà eu l’occasion de sortir quelques EP et singles jusqu’à présent, premières sorties qui révélaient l’appétence du groupe pour l’avant-garde musicale des années 70 et du début des années 80, que celle-ci se manifeste au travers du krautrock, du post-punk ou de la no wave. En comparaison de leur premier album qui nous intéresse ici, ces premiers disques n’apparaissaient tout de même que comme des ébauches, des esquisses révélant déjà, de manière notable, la prééminence de synthés analogiques vintage dans l’identité musicale du combo. Cela se confirme d’ailleurs dans cet album qui vient de sortir sur le label londonien Fuzz Club Records, sortie qui explique sans doute le vif intérêt qu’il a pu susciter auprès de certains médias d’outre-Manche.
Cette parution sur un label anglais ne peut cependant être la seule raison de l’enthousiasme qu’il suscite un peu partout. En effet, même une écoute distraite de cet album, qui présente une pochette à la Dalí, sombre et mystérieuse, ne peut qu’immédiatement impressionner tant celui-ci semble construit pour hypnotiser l’auditeur, en utilisant une architecture musicale élaborée. A ce propos, le groupe parle justement de l’influence de l’architecture, en particulier brutaliste, dans l’écriture de l’album. L’utilisation de textures abrasives dans un climat souvent oppressant en découle logiquement, à l’image de “Singularism”, le second titre du disque, qui, sur un rythme ralenti, lourd et implacable, multiplie les couches de synthé et de guitare pour, sur le fond, développer une critique de l’individualisme forcené de nos sociétés contemporaines. Même si le groupe s’en défend, la dimension politique de leurs chansons est patente sur ce disque. Cela se manifeste d’ailleurs dès le morceau suivant, au titre on ne peut plus explicite. “Political Apathy” est un titre rendant hommage, sur fond de riches nappes synthétiques, au mouvement des Gilets jaunes qui ont pu démontrer leur activisme contre l’apathie politique entretenue, comme le groupe le dit lui-même, par les structures sociales et physiques qui nous entourent (d’où le titre de l’album) et qui nous façonnent tant sur le plan individuel que collectif.
Musicalement, l’atmosphère s’avère aussi envoûtante qu’inquiétante. Sur “Honesty (I Don’t Wanna Know)”, le quatrième titre, des variations synthétiques parsemées de petites striures de guitare se posent sur un rythme répétitif et enivrant. Une voix à la Alan Vega, à la fois détachée et menaçante, survole le tout, installant progressivement une véritable tension. Par la suite, que ce soit avec “Life Is a Time Consuming Experience”, lente divagation synthétique transposant, quarante ans plus tard, le “Atmosphere” de Joy Division, “Château Guitar”, morceau instrumental tant fascinant qu’oppressant où, de nouveau, une tension croissante se développe au travers d’un rythme s’accélérant au fur et à mesure, ou encore “Same Old Argument”, aux rythmes synthétiques toujours aussi ensorcelants, la marque laissée par ce disque est loin d’être insignifiante.
Pour finir, l’influence kraut, toujours reconnue par le groupe, est sans doute plus prégnante sur les deux derniers titres que sont “Downside (I Wanna Know)”, morceau de plus de six minutes où, sur un rythme motörik qui nous hypnotise complètement, Alan Vega, encore lui, semble avoir remplacé Damo Suzuki comme chanteur de Can, et “Chullachaqui”, possible écho lointain au “Hallogallo” de Neu !, qui impressionne fortement par tout le travail de recherche sonore qu’on y trouve.
Mais réduire Veik à la somme de ses influences serait une grossière erreur tant le groupe réussit à créer son propre univers. Un univers où, pour reprendre le titre de l’album, les structures qui nous entourent sont ces structures synthétiques qui ensorcèlent, parfois oppressent, d’autres fois entraînent dans la danse (voire les trois en même temps), mais qui toujours fascinent durablement.
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