Sur ce troisième album de la deuxième vie des Chills, le miraculé Martin Phillipps se retourne sur le passé et en tire des morceaux souvent mélancoliques mais jamais complaisants, où brille une fois de plus son art du songwriting made in Dunedin.
Le retour inespéré des Chills au milieu de la précédente décennie a dû sonner comme une revanche sur le destin pour Martin Phillipps. Après avoir frôlé le succès sans jamais l’obtenir, le Néo-Zélandais avait plongé dans un gouffre (dépression, addictions…) dont il aurait pu ne jamais sortir. Heureusement, l’auteur de “Pink Frost” est peu à peu remonté à la surface, comme en témoignait le magnifique documentaire “The Chills: The Triumph and Tragedy of Martin Phillipps” dévoilé en 2019. En 2015, l’album du come-back, “Silver Bullets”, le montrait en forme, sur un nouveau label (Fire records), accompagné de nouveaux musiciens – le groupe doit être avec The Fall celui qui a connu le plus de changements de personnel dans son histoire –, et n’ayant rien perdu de ses talents de songwriter. Le tout aussi estimable “Snow Bound” suivait trois ans plus tard, et voici aujourd’hui “Scatterbrain” (“écervelé”, “hurluberlu”). Un disque ramassé (31 minutes et des brouettes) dont la pochette montre le haut d’un scaphandre, évocation d’un univers sous-marin traversant toute l’œuvre des Chills.
Qu’on ne s’attende pas à retrouver ici le mélange de candeur et d’inquiétude des débuts, ce tremblé si caractéristique, ce son un peu brumeux teinté de psychédélisme. Ni la démesure d’une chanson plus tardive comme “Water Wolves”, sublimée par les arrangements de cordes de Van Dyke Parks. La musique du groupe est devenue plus carrée, moins fragile, un peu moins mystérieuse. Mais pas pour autant banale, impersonnelle ou moins inspirée. “Monolith”, avec ses paroles concises, son riff efficace et sa mélodie très simple, constitue ainsi une entrée en matière idéale. En célébrant le pouvoir des pierres magiques à travers les âges, ce qui pourrait paraître un brin fumeux, Martin introduit les grandes thématiques du disque : pas vraiment la lithothérapie mais plutôt le poids des années, les regrets, la quête de la sagesse, l’affirmation de soi, le dernier voyage…
Cette première chanson aux airs conquérants laisse vite place à des méditations plus mélancoliques, celles d’un homme mûr qui a connu quelques hauts et beaucoup de bas. Le délicat “Hourglass” (“Sablier”) file une métaphore limpide sur le passage du temps : « Do the years fly by only when you’re counting ». Sur le très beau “Destiny”, le chanteur semble essayer de se convaincre lui-même : « Nothing’s set in stone and I don’t wanna be afraid to own my autonomy ». Avant d’avouer que les larmes ne viennent pas alors qu’il aimerait épancher son chagrin, sur le bouleversant “Caught in My Eye” dédié à sa mère Barbara décédée en 2019.
La suite déroule avec autant de bonheur une pop plus rythmée, traversée de claviers lumineux, de cuivres discrets et de chœurs célestes (“You’re Immortal” rappelle d’ailleurs beaucoup Other Lives). La voix de Martin Phillipps, toujours aussi pure et engageante, reste le solide pilier d’une musique qui ne cherche pas à en mettre plein la vue mais plutôt à communiquer des émotions de la façon la plus honnête et directe possible. De ce point de vue, c’est parfaitement réussi.