Jim O’ en compositeur pour trio à cordes. Une curiosité.
Et revoilà Jim O’Rourke sur format physique ! Sans parler de surexposition, cela devient presque une habitude de le retrouver aussi fréquemment ces dernières années. De retour, oui, mais pas comme on l’attendait. Il est vrai que l’homme est surprenant. Il nous revient en tant que compositeur pour le trio de cordes Apartment House. La sortie est sur Another Timbre, dédié à la musique expérimentale et qui s’est récemment illustré par un coffret d’une intégrale pianistique de Morton Feldman par Philip Thomas venant secouer la quasi-domination de John Tilbury sur le legs feldmanien. J’exagère, comme toujours : Stefan Ginsbourg a aussi donné de sa personne sur une intégrale et Igor Levit vient d’enregistrer un très beau “Palais de Mari” sur son récent “Encounter”.
Et Jim O ? Il donne dans la partition graphique pour cette commission des Apartment House. 48 pages avec des cercles, une pour chaque corde, avec des indications sur les harmoniques à combiner avec des fredonnements ou sifflements. On lit les cercles dans le sens des aiguilles d’une montre ou l’inverse. Il y a des pauses ou des répétitions. Les vocalisations sont à l’unisson ou à des intervalles de 4e ou 5e. Qui l’eût cru ?
On imagine la démarche : s’inscrire dans l’histoire des partitions graphiques de Feldman à Cardew (magnifique “Treatise” : allez voir, c’est une œuvre d’art). Perturber le champ écrit de la composition pour surprendre autant l’auditeur que le musicien, voire l’auteur (cf. les écrits de Cardew). S’inscrire dans une temporalité à construire ensemble. Perturber le musicien rompu à la maitrise de son instrument en lui demandant un effort hors de son domaine.
Perturber très relativement le trio de cordes Apartment House qui a choisi de contacter O’Rourke après avoir joué une de ses pièces pour la compagnie de danse de (feu) Merce Cunningham, pas tout à fait des débutants donc et sans doute rompus à ce genre d’exercices liés au hasard.
Bon. Bien. Et est-ce que ça s’écoute ? Est-ce que ça ressemble à du Jim O’Rourke ? Oui et non. On retrouve le côté mini-évènements sonores des derniers albums (“Shutting Down Here” et “To Magnetize Money and Catch a Roving Eye”), avec un aspect organique, évidemment très appuyé. Les vibrations s’assemblent, se heurtent, se côtoient, se fuient, s’estompent… comme des reprises de souffle. Les drones sont précis, vibrants ou bancals, souvent mélangés. Lors de mes écoutes en aveugle, avant d’en savoir quoi que ce soit, j’aurais même pu penser à la présence de claviers ou d’instruments à vents. À des restes de bandes de la Steam Room.
On n’est pas trop loin de l’univers o’rourkien des dernières sorties physiques mais avec une réalisation sonore relativement éloignée. O’Rourke offre sa composition, la délègue et la laisse vivre (relire le titre du disque), c’est bien l’idée qui nous semblait jaillir de ses derniers disques. Qu’elle dure 15mn (pour la BBC) ou presque une heure (sur cet enregistrement), après tout qu’importe : l’idée est là, la création sera toujours à refaire. Très japonais, non (on pense souvent aux flutes de bambou aigres du nô, aux rythmes à la fois lancinants, agaçants ou heurtés) ?
Un regret ? On aurait aimé bénéficier d’une reproduction de la partition. Pour complétistes et/ou curieux seuls.
Avec l’aide de Johanna D, c’est mieux que tu fasses ça (la relecture) pour moi.
“Best That You Do This For Me” est sorti chez Another Timbre le 26 janvier 2021.