Don Giovanni Records est un label encore peu connu par chez nous. Il a pourtant lancé la carrière d’artistes plutôt renommés aujourd’hui, que ce soit Moor Mother, Screaming Females ou surtout Waxahatchee. Katie Crutchfield y a en effet sorti ses deux premiers albums. C’est en 2003, à New Brunswick dans le New Jersey, que cette maison portant le nom du célèbre opéra de Mozart a été fondée par deux amis de fac, Zach Gajewski et Joe Steinhardt.
Ce dernier, après avoir aussi tenu la guitare dans le groupe punk For Science jusqu’à sa séparation en 2009, a commencé à écrire des chansons qui ont fini par se retrouver sur “Generic Treasure”, le premier album qu’il a sorti sous le nom de Modern Hut en 2013. Il y était déjà accompagné de Marissa Paternoster de Screaming Females. Tous les deux ont pris leur temps pour donner une suite à ce premier effort. La suite a fini par arriver au tout début de cette année. L’album a été coproduit par Marissa Paternoster et Scott Stuckey, le producteur de l’album “West Of Rome” du regretté Vic Chesnutt, le disque préféré de Joe Steinhardt.
A l’écoute de ce nouvel opus, l’influence de celui de Vic Chesnutt apparaît clairement dans le dépouillement et la simplicité à l’œuvre dans ce recueil de huit chansons ne dépassant pas les vingt minutes. Dès les premières secondes d’“In Amongst The Millions”, la chanson d’ouverture, dès les premiers accords d’une simple guitare acoustique, ce minimalisme pratiqué par Joe Steinhardt, un chanteur à la voix grave et profonde, nous captive complètement. Sur ce morceau comme sur beaucoup de ceux qui vont suivre, lui et sa comparse pratiquent un chant à deux voix qui renforce la proximité ressentie. Cette sensation est présente sur “Proof And Prime”, le titre suivant, qui dégage véritablement une impression de chant au coin du feu, où on entendrait presque les flammes crépiter. Plus loin, l’utilisation d’un rythme bancal sur “Broken Teeth” se révèle aussi pleine de charme.
L’album contient également une chanson vraiment accrocheuse, “Silly And Self-Destructive”, un titre au rythme plus marqué qui, chez l’auditeur, provoque un hochement de tête inévitable. On en arrive même à ressentir des frissons à l’apparition de la guitare électrique. Ce morceau aurait vraiment eu toute sa place comme single mais celle-ci est dévolue à la chanson-titre qui clôt l’album. Il s’agissait à l’origine d’un gospel écrit par un certain Sanford J. Massengale qui nous disait alors de ne pas trop nous attacher aux choses du monde. Joe Steinhardt en fait un titre fédérateur, que l’on reprendrait presque en chœur, mais où il exprime surtout son inadaptation au monde et son souhait d’être ailleurs : “And I don’t want to get adjusted to this world / I’ve got a home that’s so much better / I’m gonna go there sooner or later”.
Un véritable contraste caractérise en effet cet album, entre une musique simple mais accueillante et des paroles souvent tristes et dépressives. Sur le premier album, Joe Steinhardt exprimait déjà son malaise vis-à-vis de lui-même et du monde extérieur. Il continue ici mais de manière quand même plus nuancée. Ainsi, “Broken Teeth” reflète bien son envie d’être ailleurs (“Why can’t you get me somewhere I can just be alone ?”). Sur “Proof And Prime”, c’est la mort qui semble l’obséder : “Some people grow apart and some people die / And some people retreat to the back of their minds / Just to survive ‘til the day they can die / ‘Cause surely they’ll die”. L’Américain cherche donc à extérioriser ce qu’il ressent, et l’utilisation minimale d’instruments contribue sûrement à attirer l’attention sur le ressenti énoncé.
Joe Steinhardt, avec son projet Modern Hut, démontre donc son adhésion à la philosophie less is more, au travers de chansons à l’instrumentation simple et au rythme parfois enjoué évoquant alors l’antifolk de Jeffrey Lewis et des Moldy Peaches. Mais si les paroles de ces artistes étaient souvent absurdes voire franchement loufoques, c’est loin d’être le cas ici. Néanmoins, autant les textes du premier album se complaisaient dans un auto-apitoiement excessif, autant, sur celui-ci, l’Américain nous dit surtout qu’il ne veut pas s’adapter à ce monde auquel il se sent si étranger. En ce moment, on ne peut qu’acquiescer.