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Phil Spector, entre petitesse et grandeur

On a appris ce dimanche la mort de Phil Spector, célèbre producteur américain né en 1939. Il purgeait depuis 2009 une peine de 19 ans de prison en Californie pour le meurtre dans son manoir de Lana Clarkson, ancienne actrice de série B rencontrée quelques heures plus tôt dans le bar où elle était serveuse. Le dernier acte d’une existence souvent bien glauque, loin des romances adolescences pleines de “love” et de “baby” qu’il sut sublimer. Passion des armes, alcool, paranoïa, troubles bipolaires… Ses « démons » ne lui ont pas laissé de répit (ni à son entourage, les femmes en étant souvent les premières victimes), et l’image d’un accusé hagard, coiffé de perruques grotesques, aura fini par effacer celle du jeune homme tiré à quatre épingles qui régnait en maître – ou en despote – derrière la table de mixage des Gold Star Studios.

Son ex-femme Ronnie a parfaitement résumé le personnage (sans lui, elle n’aurait probablement pas accédé au sommet des hit-parades, mais il lui a fait vivre un véritable enfer domestique pendant des années) dans le bref message qu’elle a publié lundi : « As I said many times while he was alive, he was a brilliant producer, but a lousy husband. Unfortunately Phil was not able to live and function outside of the recording studio. Darkness set in, many lives were damaged. I still smile whenever I hear the music we made together, and always will. The music will be forever. »Comme je l’ai dit à maintes reprises de son vivant, c’était un brillant producteur, mais un mari nul. Malheureusement, Phil n’a pas pu vivre et fonctionner en dehors du studio d’enregistrement. L’obscurité s’est installée, de nombreuses vies ont été endommagées. Je souris toujours chaque fois que j’entends la musique que nous avons faite ensemble et je le ferai toujours. La musique restera. »)

Si, hors documentaires musicaux, Spector n’a fait qu’une seule brève apparition au cinéma, au début d’“Easy Rider” (il joue le mystérieux “Connection”, un dealer qui achète à Fonda et Hopper une grosse quantité de coke sur le tarmac de l’aéroport international de L.A. après l’avoir testée dans chaque narine), sa vie a pourtant tout d’un scénario “rise and fall” hollywoodien. Sa personnalité aurait d’ailleurs inspiré à Brian DePalma le personnage de Swan dans “Phantom of the Paradise”, et à Russ Meyer celui de Z-Man Barzell dans “Beyond the Valley of the Dolls”. Cloîtré dans son Xanadu californien, le producteur qui ne produisait plus grand-chose regardait en boucle “Citizen Kane”… Si la plupart des légendes de la musique populaire ont eu droit à leur biopic sur grand écran, lui a dû se contenter d’un téléfilm HBO centré sur le fameux procès, certes réalisé par David Mamet et avec Al Pacino dans le rôle principal.

Même s’il a connu le succès dès 1958 avec sa première formation, The Teddy Bears, et le 45-tours “To Know Him Is To Love Him” (à peu de chose près, l’épitaphe inscrite sur la tombe de son père, qui s’est suicidé alors que son fils avait 9 ans…), le “first tycoon of teen”, comme l’a appelé Tom Wolfe, aura surtout été au zénith entre 1962 et 1966. S’appuyant sur les meilleurs auteurs-compositeurs du Brill Building (Goffin/King, Greenwich/Barry, Mann/Weil…) et la crème des musiciens de sessions, l’intraitable pygmalion invente le fameux “Wall of sound” taillé pour les transistors de l’époque, créant des arrangements orchestraux en superposant les instruments sur des pistes mono et en les noyant dans la reverb. Une masse sonore qui semble toujours prête à engloutir les superbes voix féminines (Darlene Love, les girl groups new-yorkais The Crystals et The Ronettes, plus tard Tina Turner) ou masculines (principalement les Righteous Brothers). Epoque bénie où, des Beatles à Bacharach/David en passant par la Motown, la musique populaire pouvait se permettre toutes les audaces, et où la fabrication à tubes était encore une affaire d’artisans. L’influence de ce son wagnérien adapté au marché du 45-tours sera bien sûr immense, des Beach Boys au Springsteen de “Born to Run”, des Walker Brothers aux Jesus and Mary Chain qui reproduiront la fameuse intro de batterie de Hal Blaine sur “Be My Baby” des Ronettes (chef-d’œuvre absolu) pour “Just Like Honey” (chef-d’œuvre absolu aussi).

The Ronettes

La suite sera brillante par intermittence, souvent controversée. Les arrangements ajoutés par Spector sur l’album “Let It Be” des Beatles seront tellement peu du goût de McCartney que celui-ci finira par sortir une version “naked” du disque en 2003. Ça se passera mieux à l’heure des carrières solo, avec Lennon (du moins au début) et Harrison… Les sessions d’enregistrement du “Death of a Ladies’ Man” de Leonard Cohen, rencontre entre deux psychés pas très en forme parsemée d’anecdotes rock’n’roll (menaces avec armes diverses, confiscation des bandes…), produiront une sorte de monstre fascinant, l’œuvre la plus étrange de la carrière du Canadien errant, qu’il s’empressera de désavouer. Et les Ramones, habitués à mettre en boîte rapidement leurs albums, seront mis à rude épreuve par le perfectionnisme de leur producteur imbu de lui-même sur “End of the Century” – qui reste un très plaisant disque de rock’n’roll à défaut d’être le chef-d’œuvre promis par Spector.

Face à un tel cas psychiatrique, difficile quand même de ne pas se poser la question : cet homme a-t-il ressenti une fois dans sa vie la joie intense que ses productions ont procurée à des millions d’auditeurs ? A défaut de réponse, voici une playlist (à peu près chronologique) de 40 morceaux.

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