En 2015, la musicienne américaine Ana Roxanne enregistrait une courte collection de rêveries méditatives, seule. Le projet, initialement conçu pour la sphère privée, aurait pu rester secret s’il n’était pas tombé entre les mains et les oreilles du producteur Matthewdavid. Ce dernier proposa une sortie à plus grande échelle sur son label Leaving Records. C’est ainsi qu’en mars 2019 sortait l’EP, baptisé « ~~~ », qui fut, soit dit en passant, l’une des plus étonnantes découvertes de l’année.
Le titre du disque, imprononçable, pouvait à l’époque illustrer la quête identitaire de son auteure. En 2018, Ana Roxanne révélait par le biais d’un cliché être intersexuée. Un temps caché, dissimulé au travers de sa musique, cet état est aujourd’hui au centre du processus créatif d’une artiste en paix avec elle-même. Plutôt que de se rattacher à une entité distincte, Ana Roxanne choisit une place au croisement des genres. Il n’est pas question d’ambivalence, mais d’harmonie. On la retrouve tout au long de “Because of a Flower”, le premier long format de l’artiste, sorti chez Kranky.
Dans son propos, l’album est une ode à l’acceptation, et à la beauté d’exister, qu’importe l’appartenance sexuelle. Dans la courte introduction “Untitled”, Ana Roxanne utilise un passage des écrits de WA Mathieu sur la complémentarité du Yin et du Yang pour la transposer à l’intersexuation.
« One has produced Two, Two has produced Three.
These words mean that One has been divided into Yin, the female principle, and Yang, the male principle.
These two have joined, and out of their junction has come a third, Harmony. »
L’analogie est explicitée par l’effet de modulation sur la voix. La juxtaposition des tonalités donne l’illusion d’une discussion à trois voix, mais le message lui, renvoie à l’unité. L’équilibre souligné par ces mots est une manière pour la chanteuse de montrer sa place. Une place non pas en dehors mais au centre de l’union des genres.
On retrouve le même genre de métaphore sur “Venus”. Sur fond d’enregistrements de vagues, Ana Roxanne y récite un texte sur la constance de l’eau, un élément qui ne connait pas de frontière, avant que sa voix ne vienne défier la pesanteur.
Au-delà des mots, la musique d’Ana Roxanne fascine par l’équilibre qu’elle trouve entre simplicité, justesse et minutie. Les registres et genres se chevauchent et se mêlent sans que l’on puisse véritablement classer le disque. L’ambient prédomine, mais on retrouve des éléments issus de la dream pop, du slowcore, ou encore du new age. Tout comme sur sa personne, l’artiste refuse d’apposer une étiquette sur sa musique. Une musique en pleine expansion, avec l’apport d’une guitare, d’une basse électrique et même d’une boite à rythme (“Camille”). Et pourtant, elle demeure aussi douce et directe qu’un lent murmure à l’oreille.
Soucieuse du détail, Ana Roxanne excelle dans le choix des échantillons sonores et la manière dont elle les utilise pour façonner les transitions de ses chansons. Sur “Take the Thorn, Leave the Rose” les cordes de la basse et de la guitare se répondent dans une ambiance glaciale, avant de s’évanouir pour laisser place à l’un des moments les plus forts, et paradoxalement distants, de l’album. S’échappent alors quelques notes de piano, répétées en boucle, tirées de la reprise de l’“Ave Maria” d’Alessandro Moreschi, sur lesquelles vient se poser le chant de sirène lointain d’Ana Roxanne.
Une manière de conclure l’album sur une note à la fois nostalgique et profondément apaisante.
Épuré et minimaliste, “Because of a Flower” est une expérience sensorielle, presque thérapeutique. La fleur en question vient à peine d’éclore, nul doute que sa beauté ne cessera d’accroitre au fil des années. C’est en tout cas l’une des plus belles promesses d’une scène expérimentale toujours en éveil.
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