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DiversInterviews

Un tour en ville #1

Les indépendants face à la pandémie

Dans le domaine de la culture, au sens large, le couvre-feu puis le confinement ont compromis bon nombre de spectacles et de publications. Jusqu’à poser la question de la pérennité de certains lieux de diffusion, de quelques structures indépendantes et de projets artistiques. Dans les grandes villes, au ralenti, nous interrogeons musiciens, acteurs des sphères indés et autres pour prendre le pouls de la cité. Malgré le marasme, l’espoir demeure et des initiatives se font jour… qu’il est urgent de soutenir.

Lille

Bertrand Joossen, gérant du Caf&diskaire et de La Bulle Café de la Maison Folie Moulins

Quelle était votre situation avant la crise ?
La vitalité des décennies passées pourrait sembler un peu loin à l’amateur de concerts lillois. Parfois mis à mal par une politique de la nuit assez maladroite ces dernières années, les cafés-concerts survivaient doucement, en essayant de faire le moins de vagues possible pour résister à l’omniprésence des lobbys de riverains. La lutte contre les nuisances sonores ressemblait parfois à une lutte contre la fête, à tolérance très limitée. Les plus grandes scènes sont assez nombreuses ici (l’Aeronef, le Grand Mix et la Cave aux Poètes notamment), et leurs programmations souvent qualitatives. Entre les deux, avec la fermeture de la Péniche, puis du Biplan, un certain fossé s’était creusé pour les lieux de tailles intermédiaires (jauge entre 80 et 200 personnes), emplacement qu’est venu combler La Bulle en 2018, la Brat Cave plus récemment, ainsi que le nouveau club du Grand Mix cette année – celui de l’Aeronef ayant également retrouvé une belle vigueur. Toujours en place, la Malterie résiste, tant bien que mal.
Côté disquaires, si nous avons de dignes représentants comme Besides ou Urban Music qui font face aux généralistes et hypers que sont le Furet et la Fnac, les disquaires neufs spécialisés ouvrent et doivent fermer malgré une qualité non démentie, comme feu Minor Place ou Quelque Part Records… Niveau artistique, la scène locale est vivace et sans cesse renouvelée, et les demandes de dates sont toujours aussi nombreuses, à  tel point qu’il est impossible de répondre à tous. Pop, folk, métal, post-rock, stoner, hip-hop, chansons ou psyché, tous les styles sont présents.

Quelle est la situation actuelle de la ville ?
Ici, tout est à l’arrêt, d’autant plus que la ville de Lille a été parmi les premières touchées par les mesures sanitaires, avec restrictions horaires puis couvre-feu, puis confinement. Déjà, l’entre-deux-confinements n’a pas été propice à une vraie reprise artistique même si certains lieux se sont adaptés, et notamment La Bulle où dès fin juin nous avons proposé des live en mode « cabaret », assis uniquement avec une jauge extrêmement réduite (une quarantaine de personnes maximum) et un stricte respect des protocoles sanitaires. D’autres lieux ont suivi et ont choisi de reprendre en s’adaptant eux aussi, comme la Brat Cave, ou tout récemment avant la nouvelle  fermeture, les plus grandes salles comme l’Aéronef et le Grand Mix. Pour nous à La Bulle, il s’agissait de faire vivre les lieux et de proposer coûte que coûte – c’est le cas de le dire – une vie culturelle, malgré une rentabilité devenue impossible.
Pour les cafés-concerts, certains ont aussi tenté de reprendre en adaptant les répertoires à des publics assis (le Musical, l’Intervalle…), mais il ne faut pas s’y tromper : dans les conditions tels qu’elles étaient, il était quasi impossible de travailler correctement. Je prends l’exemple du Caf&diskaire, où nos 70 m² tout en longueur ne nous permettent pas de nous adapter et où nous avons fait le choix, pour respecter protocoles, artistes et public, de ne pas reprendre du tout les concerts tant que les conditions ne pouvaient pas être meilleures. Aujourd’hui, le monde est à l’arrêt même si les artistes, eux, continuent de créer. Des albums, des EP, des clips sortent, et pour n’en citer que quelques uns, allez donc jeter un œil aux albums de Temps Calme, Joni Île ou Fall of Messiah, ou aux clips de Pauvre Glenda, Dæms ou Fleuves Noirs.

Avez-vous quand même des motifs d’espoir ?
Oui, bien sûr. Si on fait abstraction – et c’est difficile, je l’avoue ! – des polémiques et prises de tête multiples qui rythment les réseaux sociaux, on voit bien que la vie culturelle est active ! Les gens créent, écoutent, découvrent, s’intéressent. Par exemple, une page Facebook s’était créée au premier confinement, Cov’art, proposant de créer du lien face à la maladie, grâce à l’art : elle s’est totalement re-développée depuis quelques jours, via les arts graphiques, la photo, la musique, la danse,… Foule d’artistes s’y pressent.
Hier, j’ai demandé dans un post Facebook les trois albums préférés de chacun. Je ne m’attendais pas, vu l’année, à beaucoup de réponses : j’en ai eu plus que si j’avais posté un Gif de chatons, c’est dire ! La création ne lâche pas, elle. Le plus difficile, c’est qu’il faudra, à la reprise, quand on reprendra, qu’il y ait encore des lieux qui puissent soutenir tout ça. Et quand on connaît la santé fragile de ces commerces qui sont pour la plupart des petites entreprises de passionnés, qui n’ont pas les reins solides et galèrent déjà en temps normal pour venir à bout des charges mensuelles, il y a tout de même de quoi s’inquiéter…

Une découverte récente de Bertrand, Pauvre Glenda avec Sitcom.


Comment peut-on vous soutenir ?
C’est demain que le soutien devra être présent. Demain, quand on rouvrira, quand on chantera à nouveau, quand il sera temps de reprendre de bonnes habitudes, alors il faudra que le public soit là. Car sans une reprise rapide et puissante, sans une activité renforcée, alors nos lieux vont mourir. Et je ne pense pas que l’on puisse se réjouir d’une culture qui soit bornée aux Smac qui, aussi intéressantes soient-elles, ne peuvent ni ne doivent phagocyter des lieux qui leur servent de tremplins. La culture doit être plurielle, multi-taille, underground, privée comme publique, de niche comme de masse, arty comme populo, de garage comme de galerie.

Quels sont vos projets du moment ?
Mon associé dirait : « ben, on est en pré-retraite, non ? ». Plaisanterie, hein, mais c’est vrai que c’est une période très spéciale pour nous. On a l’habitude, depuis des années, d’avoir un rythme infernal de 60 à 70 h par semaine, et aujourd’hui on passe notre temps à chasser les aides de l’Etat. Car la réalité, c’est que ce sont elles qui peuvent nous aider à passer cette période. Si elles ont été bien trop frileuses au premier confinement, et si le PGE (prêt garanti d’Etat) a artificiellement mis nos petites entreprises sous perfusion (il faudra bien rembourser ledit prêt, et les prévisions de reprise ne vont pas dans notre sens…), le nouveau fonds de solidarité est plus adapté à nos entreprises et à nos dépenses réelles… Encore faut-il que celles ci arrivent, en temps et en heure, et évitent ainsi de trop creuser nos trésoreries.
A part être devenu le roi des sites administratifs et institutionnels, je furète et j’écoute ce qui se passe sur les réseaux. Si je ne relance pas la programmation du Caf& (nous l’avions fait pour nos deux lieux en juin en prévision de la fin d’année et tout a été annulé ; aujourd’hui on parle plutôt du second semestre 2021 et c’est trop loin pour un café-concert), je m’instruis !
Et nous avons relancé nos apéros confinés, de la vente à emporter à la fois de nourriture pour le foie (nos bières de micro-brasseries locales notamment) mais aussi pour l’esprit avec des sélections de livres, de films et… d’albums également, on ne se refait pas !
On garde le contact, on prend des nouvelles de nos clients, on crée des playlists, on partage des coups de cœurs, on reste le plus optimiste possible et on essaye de distraire au mieux nos amis et suiveurs, on réfléchit au futur, on imagine des projets secrets, réalistes ou pas, on améliore l’existant (quand on peut), pour être au top dès la réouverture !

A écouter : La playlist Spotify évolutive du Caf&diskaire via son sélecteur, “Marty NoBruit’s Infinite Set Vol. 1”

La page cov’art : https://www.facebook.com/covartup/

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