Corps à cœur avec la guitare acoustique : Tetuzi Akiyama accomplit des miracles avec ses manipulations simples et savantes.
Voilà une bonne dizaine d’années que Tetuzi Akiyama n’avait pas offert d’album solo. Pourtant lors de la tournée avec Hervé Boghossian pour la sortie de « Suketchi », quelques titres annonçaient l’album à venir. Le voici publié chez un label californien, Besom Presse, qui mérite attention : le disque de drones de cornemuse (ravalez vos sarcasmes) de David Watson sur percussions de Tony Buck de The Necks, vaut franchement le détour et quelques heures de méditation.
« Thaumaturgy » est un véritable corps à corps avec la guitare acoustique, un ballet dont l’enjeu est le son ET la production de son, où chaque geste compte autant que son résultat. Tetuzi Akiyama a un jeu très physique qu’on pourrait, pourtant, qualifier d’analytique. Il dépouille le blues, la folk de ses atours pour ne garder que l’ossature, les points d’appuis et en fait le corps de son sujet. L’écoute demande de s’y consacrer, d’être attentif et d’entendre les à-côtés et les pistes volontairement laissées de côté, délaissant les routes rabattues des facilités mélodiques pour prendre des chemins plus arides et pierreux. Mais la bal(l)ade est belle, minérale, organique.
Sur « Predawn », on perçoit des couleurs, comme un éventail qui se déploie par saccades.
Sur « Proclamation » c’est toute une gamme de cordes qui frisent, avec un touché un peu sec, comme si on entendait aussi l’action de la pulpe des doigts.
« Lament », entendue en concert, joue sur une finesse de jeu hallucinante avec un départ très doux, pour finir dans un presque silence. Un fading manuel, naturel plutôt, qui perd de sa puissance sur disque tant nos habitudes d’écoute de produits retravaillés en studio sont fortes.
« Trajectory » est tout de jeux spartiates sur les échos, les réverbérations naturelles avec un final plus rond.
« Apparatus », « Pseudopsia », « Perseverance », « Forgetfulness » plongent leurs racines dans un folk anglo-saxon mais haché, effacé, frisé par moments. Le final d’Apparatus joue sur des cordes tirées très violemment, qui libèrent des harmoniques et des résonnances inouïes. Le son est projeté loin de la caisse et laisse à quelques centimètres des cordes un nuage sonore étonnant.
C’est un enregistrement qui capte tout le côté physique du guitariste d’improvisation, tout en rupture, dans les espaces, qui laisse du champ à l’évanouissement du son. Dans « Parallelism », c’est le bois qui craque, les doigts qui glissent et frottent : ce sont les autres présences sonores avec les souffles et les rares soupirs de l’homme-guitare.
« Terrace » est ascétique au début puis décolle mélodiquement, avec des points d’appuis sautillants, toujours très plastiques.
« Thaumaturgy », enfin, appelle un jeu mat avec des cordes pincées mais perçues comme percutées.
Il est difficile de trouver un style dans la guitare picking et notamment improvisée. Tetuzi en a un, éminemment singulier, qui dépasse les lieux communs de la technique, ou du son. C’est ici un art de vivre, une recherche esthétique profonde. Et ça méritait bien quelques années d’attente.
Avec l’aide de Johanna D, traumaturge.
Predawn
Proclamation
Lament
Trajectory
Apparatus
Pseudopsia
Perseverance
Forgetfulness
Terrace
Parallelism
Thaumaturgy
« Thaumaturgy » est sorti le 16 octobre sur Besom Presse.