La sortie surprise d’un nouveau disque des Dead Famous People, formation féminine néo-zélandaise apparue discrètement au milieu des années 80, rappelle à notre bon souvenir la voix et la plume inimitables de Donna “Dons” Savage. Retour sur l’histoire du groupe et propos recueillis à Auckland… depuis la France, par la “magie” d’une application de visioconférence.
Tout au long des années 80 et 90, la Nouvelle-Zélande a été une importante pourvoyeuse de groupes uniques en leur genre, de ceux qui suscitent des cultes durables. Depuis leur archipel loin de tout, The Bats, The Chills, The Verlaines, The Clean et d’autres livraient une pop à la fois familière et un peu étrange, inquiète. Les groupes sortaient des disques comme on envoie des bouteilles à la mer, généralement sous l’étiquette Flying Nun.
En 1986, le label publiait le EP “Lost Persons Area”, illustré d’une photo piquée au grand Elliott Erwitt, premier disque d’un quintette qui se distinguait par son nom absurde (quoique, des Straightjacket Fits aux Tall Dwarfs, ce soit un peu une spécialité de l’indie kiwi), Dead Famous People. Et, plus encore, par une caractéristique qu’il partageait avec ses compatriotes de Look Blue Go Purple, peut-être avec d’autres formations néo-zélandaises, pas beaucoup sans doute : une composition 100% féminine. Au chant, une certaine Donna “Dons” Savage, précédemment membre des éphémères Freudian Slips (« les lapsus ») sous le nom de Donna Fletcher, une formation qui, malgré sa brève existence, avait trouvé le temps de tourner un clip.
Relocalisées à Londres, les Dead Famous People firent encore quelques étincelles avant de disparaître sans bruit au début des années 90, laissant une œuvre chiche devant à peu près tenir sur un CD. Avouons que nous ne pensions plus à elles tous les jours, d’où notre surprise en apprenant l’annonce d’une nouvelle sortie pour ce mois d’octobre. Décrit comme le premier véritable album du groupe (il était temps !), “Harry”, collection de dix chansons tournant autour des 3 minutes, est plutôt un disque solo de Donna. Concis, frais et entraînant, il semble reprendre les choses là où elle les avait laissées il y a près de trente ans, avec juste un peu plus de professionnalisme dans la voix, les compositions, le son, qui s’éloigne d’une certaine esthétique Flying Nun sans la renier totalement.
De quoi justifier une interview matinale (pour nous, pas pour elle, puisqu’il y a 10 heures de décalage horaire avec Auckland). Se matérialisant soudain sur l’écran de notre ordinateur, Dons a les cheveux courts comme sur les rares clichés des années 80-90 qui circulent sur le Net, et de grandes lunettes noires comme sur les dernières photos de presse. Ses réponses dans un épais accent seront aussi brèves que candides, souvent ponctuées d’un petit rire.
Difficile de ne pas commencer en lui demandant ce qu’elle a bien pu faire pendant toutes ces années. « J’ai continué à écrire des chansons, j’ai aussi exposé ma peinture, mais je voulais surtout voir grandir mon fils et m’occuper de lui », explique-t-elle, précisant qu’aujourd’hui elle travaille occasionnellement dans un café d’Auckland pour survenir à ses besoins. Le prénom de son fils donne d’ailleurs son titre à la dernière chanson et au disque. Lui est-il naturel d’écrire sur des sujets aussi intimes ? « Oui, je crois que toutes mes chansons parlent de choses qui me touchent de près. A part peut-être certaines, comme “Grovvy Girl” sur le nouvel album [« Groovy is the way she rides/A groovy little motorbike/Groovy is the way she wears her Levi’s »], qui me sont venues assez vite et ne cherchent pas à être très profondes. » Les textes de Donna Savage, réflexions assez universelles sur la vie, l’amour, la mort, n’ont d’autre prétention que celles de la simplicité et de la justesse. Petites histoires tragicomiques (« They said you crashed the car looking at girls »), parfois à la limite de la comptine (« Who would write a song/About a little dog that’s gone?/Who would waste their time?/Cos a dog/Ain’t worth a dime »… pas très loin de “Bonjour le chien” de Boris Vian) ou élégie écolo sans prêchi-prêcha (« Look at the fires/The storms are raging wild/The ocean cries aloud »), ses chansons touchent immédiatement au cœur, portées par des mélodies solaires et intemporelles.
Sans doute l’héritage de la collection de disques maternelle, Beatles, Dusty Springfield, Ronettes ou Marvelettes – la biographie fournie par le label Fire cite aussi le chanteur country Jim Reeves, le groupe folk australien des sixties The Seekers et Abba. Même si elle ne cherche pas spécialement à sonner rétro, Dons se reconnaît d’ailleurs davantage dans l’écriture classique du Brill Building, la Motown ou les girl groups produits par Phil Spector que dans les « riot grrrls » des années 90 dont elle est parfois considérée comme la grande sœur méconnue, sans doute parce qu’elle était signée sur des labels indépendants et exprimait un point de vue féminin dans la pop à une époque où ce n’était pas si courant. Elle se souvient d’ailleurs de jeunes fans qui lui écrivaient pour lui dire que ses chansons les avaient aidés dans des moments difficiles.
La connexion avec Flying Nun (via le mythique Chris Knox) s’était faite assez simplement, même si les Dead Famous People étaient basés à Auckland, sur l’île du nord, et le label à Christchurch, sur l’île du sud (beaucoup de groupes venaient de Dunedin, également dans la partie méridionale). Intervint ensuite une bonne fée aux oreilles affûtées, le grand Billy Bragg. « Il était venu jouer en Nouvelle-Zélande et avait dû entendre l’une de nos chansons à la radio ou nous voir en concert. Il nous a ensuite contactées et nous a demandé si nous voulions venir à Londres et signer sur le label dont il s’occupait alors. » Le groupe sortira en 1989 sur Utility records le EP “Arriving Late In Torn And Filthy Jeans”, ajoutant à des titres repris de “Lost Persons Area” trois nouvelles compositions de Donna produites par Grant Showbiz, dont le magnifique “Postcard from Paradise”. La pochette respectait la rigoureuse charte graphique maison (bandes de couleur en haut et en bas, dessin ou photo noir et blanc au centre), qui semblait avoir été établie en réaction à certains excès visuels des années 80.
Le séjour londonien des Dead Famous People aurait pu marquer leur décollage, mais malgré l’intérêt de labels prestigieux, rien ne se concrétisa. Comme beaucoup de ses compatriotes partis tenter une carrière musicale loin de la Nouvelle-Zélande, dans des conditions souvent difficiles, Donna finit par se languir de son pays, de sa famille. Retour au bercail. « Je ne regrette pas d’être allée en Angleterre, dit-elle, cela a quand même permis à notre musique d’être davantage entendue. »
De cette période de trois ans date ce qui reste peut-être leur enregistrement le plus connu (tout est relatif…) en France : une reprise de “True Love Leaves No Traces” de Leonard Cohen figurant sur la compilation tribute “I’m Your Man”, initiée par “Les Inrockuptibles” et sortie en 1991. « Nous avons choisi l’une des chansons les plus pop de son répertoire en pensant qu’elle pourrait coller avec notre style. C’est aussi l’une de ses moins déprimantes ! (rires) Le fait le plus notable de la session, c’est que les studios F2 [studios dont Jon King de Gang of Four était copropriétaire, et où ont été notamment enregistrés de nombreux maxis destinés à être joués en rave, NDLR] étaient hantés ! Un soir, tard, j’y ai ressenti quelque chose d’étrange. Autant dire qu’on y a pas fait de vieux os ! J’ai fini par apprendre que le bâtiment était construit au-dessus d’un ancien “plague pit”, où les personnes mortes de la peste étaient enterrées au XVIIe siècle à Londres. Alors, j’ai compris… »
Vers la même époque et toujours au rayon cover, mais sans ses camarades, Donna prête sa voix à un duo londonien qui débute, Saint Etienne. Bob Stanley et Pete Wiggs, qui n’ont pas encore fait de Sarah Cracknell leur chanteuse régulière et aiment beaucoup les Dead Famous People, font appel à la Néo-Zélandaise pour une version pop-house de “(Let’s) Kiss and Make Up” des Field Mice. Elle se souvient simplement que les prises se faisaient dans une chambre à coucher, vraisemblablement celle de Ian Catt, collaborateur essentiel du groupe qui y avait installé un petit studio.
C’est aussi elle qu’on entend sur les chœurs d’une chanson au titre pas tout à fait prémonitoire ou autoréalisateur (ce ne fut pas vraiment un tube mondial), mais aujourd’hui considérée comme un classique de la pop néo-zélandaise : le “Heavenly Pop Hit” des Chills. Même s’ils ne se croisent pas très souvent, Donna est toujours en contact avec Martin Phillipps (également signé chez Fire records), et dit avoir vu deux fois le magnifique documentaire qui lui a été récemment consacré, “The Triumph and Tragedy of Martin Phillipps”. Comme Martin est aussi artiste plasticien, on lui suggère d’exposer ensemble.
On l’aura compris, Donna Savage est le genre de personne qui regarde devant elle plutôt que de se retourner sur son passé. Elle regrette que les quelques disques sortis par les Dead Famous People dans les décennies précédentes, et difficiles à trouver aujourd’hui, aient été enregistrés un peu trop vite. Cependant, elle ne verrait pas d’inconvénient à ce qu’ils soient réédités, « tant que c’est bien fait ». Mais elle aimerait surtout en publier des nouveaux dans les années à venir, et dit d’ailleurs avoir composé une dizaine de chansons en plus de celles de “Harry”, qui pourraient figurer sur un prochain album. Elle se verrait bien aussi donner quelques concerts, au moins à Auckland, quand cela sera plus facile. Si l’idée de faire carrière ne l’effleure sans doute pas plus aujourd’hui qu’hier, nul doute que la musique restera toujours une part importante de sa vie. Comme ses chansons le sont pour sa poignée de fans fidèles.
Photos : Frances Carter, DR.
Matthieu
Top article sur une artiste magique, merci