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Disques

Idaho – Levitate

Sorti en 2001, “Levitate” est le sixième album du groupe américain Idaho, alors quasiment réduit à son fondateur Jeff Martin. Le label bordelais Talitres, qui avait déjà sorti ou réédité quelques disques de cette formation culte, le publie pour la première fois en vinyle, remasterisé et limité à 1000 exemplaires. L’occasion de reparler de cette œuvre délicate et mystérieuse.

C’est d’un bac à soldes d’une enseigne de grande distribution que j’ai exhumé, en fouillant et retournant les boitiers de CD empilés, l’album “Levitate” d’Idaho (2001). Il était proposé à deux euros, ce qui me semblait plus que raisonnable.
C’était il y a une dizaine d’années et j’avoue que je n’avais alors encore rien écouté de ce groupe discret. Pourtant, dans les années 90, les premiers albums des Red House Painters ou de Low m’accompagnaient et Idaho aurait pu croiser ma route. Les trois formations étaient proches, partageant fréquemment les mêmes scènes ou le même manager. Mais c’était avant les moyens d’accès que propose Internet, et les connexions ne se sont pas faites à l’époque…
Rétrospectivement, j’ai le sentiment que c’est peut-être une chance que d’avoir découvert “Levitate” dix ans après sa sortie. Ainsi extrait de son temps et de la relative proximité des albums aux tonalités similaires qui pouvaient alors paraître, il gagne en singularité, manifestant d’autant mieux une richesse à côté de laquelle beaucoup de critiques d’alors sont passés (mais pas POPnews !).
Conçu comme le terme d’une trilogie amorcée avec “Alas” (1998) et “Hearts of Palm” (2000), Levitate est également un album de rupture. Jeff Martin, fondateur du groupe, a en effet viré tous les membres d’Idaho lorsqu’il l’entreprend. Il joue seul sur la plupart des morceaux, et est parfois accompagné simplement par un batteur, Alex Kimmel, un fan recruté au débotté après réception d’une démo envoyée à Martin. Si les deux premiers titres paraissent donner le change, renvoyant au son des précédents albums, dès le formidable “On the Shore” et pour les huit morceaux suivants, nous entrons dans un monde parallèle, intime et étrange.
L’espace et le temps semblent ici se suspendre, le rythme s’effiloche en cours de route, plongeant l’auditeur dans un abîme de pensées suspendues. Il suffit d’écouter le très beau “Orange” en fermant les yeux, de suivre les boucles du piano et la voix lasse de Jeff Martin pour atteindre cet état de flottement stupéfait.

Bien sûr, cette petite musique autarcique, vous pouvez l’avoir déjà rencontrée auparavant. C’est celle de ces albums-univers qui n’ont pas vraiment d’équivalents. C’est “Pink Moon” de Nick Drake ou l’unique album solo de Mark Hollis. D’une façon similaire à ceux-ci, la musique de “Levitate” est une musique de reflux, d’effacement de ses traces. Elle n’est pas sans faire songer au héros du “Bartleby” de Melville, par ce même élan qui s’épuise constamment sous lui-même, nous disant qu’il « aimerait mieux ne pas » : ne pas s’engager, ne pas être ceci plutôt que cela, ne pas s’imposer ou devoir choisir. Le titre “Levitate Pt.2” pourrait en être le parfait pendant musical avec ses apparitions-disparitions de formes, sa temporalité brisée, son mouvement suspendu.
“Levitate” peut facilement faire partie de ces objets compagnons que vous classez ni trop près de vous pour ne pas les compulser obsessionnellement, ni trop loin pour ne pas les oublier. Pour ma part, il fait partie de ces rares albums vers lesquels il m’est possible de revenir encore et encore, parfois en laissant passer des années entre deux visites, sûr d’en retrouver le mystère intact, l’envoûtement renouvelé.

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