L’un des reproches le plus souvent adressés au rock contemporain est son incapacité à se renouveler, à se réinventer, sa tendance à réutiliser les mêmes recettes considérées comme éculées. Il est alors fait abstraction d’une composante essentielle de la musique qui est, tout simplement, sa capacité à émouvoir, à véhiculer des émotions qui peuvent tout aussi bien être de la colère, de la tristesse, de la peur ou bien sûr de la joye (jeu de mots de circonstance).
Le groupe londonien Happyness a parfaitement assimilé cette combinaison, transmettant à la fois un héritage musical et des émotions qui font partie intégrante de cet art qui nous intéresse ici. Concernant l’héritage, Happyness a toujours eu un tropisme 90’s bien prononcé. Sur leur premier album “Weird Little Birthday” sorti en 2015, l’influence de Sparklehorse était patente, notamment au travers des tempos ralentis et de la voix trafiquée du chanteur. En 2017, le deuxième, “Write In”, apparaissait plus varié mais aussi plus inégal, entre ballades au piano et rock slacker nous ramenant au moins vingt ans en arrière. Avec le recul, ce second effort apparaît aujourd’hui comme un album de transition, le groupe ayant connu d’importants changements par la suite.
L’année 2019 a en effet vu le départ du guitariste et membre fondateur Benji Compston. Puis le batteur Ash Kenazi a fait son coming out, apparaissant maintenant en drag queen exubérante. Le guitariste et désormais seul chanteur Jonny Allan a aussi connu une séparation qui l’a profondément marqué. Bref, le groupe estime avoir vécu à la fois les pires et les meilleures années de sa vie. Le nouvel album “Floatr” en porte la marque.
De prime abord, ce disque apparaît nettement plus expansif que ses prédécesseurs, vecteur d’une sensibilité exacerbée, de plus en plus perceptible au fil des écoutes. Dès “Title Track”, le morceau inaugural, une certaine douceur mélancolique est de mise, portée ici avec emphase, l’utilisation du synthé y contribuant fortement. L’album alterne ensuite ballades midtempo et chansons plus énervées où transparaît toujours cette sensibilité délicate et captivante. Tout au long du disque, cette impression est accentuée par la ressemblance frappante entre la voix de Jonny Allan et celle d’Elliott Smith. Tout comme l’Américain, le jeune Anglais sait nous emporter en douceur et, bien souvent, nous émeut profondément. Le fantôme d’Elliott Smith semble présent aussi bien sur “What Isn’t Nurture ?”, magnifique ballade sur les tourments amoureux, que sur “Anvil Bitch”, long morceau tout en changements de rythme. Les grandes heures de l’indie rock américain des années 90 se rappellent également à notre bon souvenir sur “Ouch (Yup)”, le morceau le plus catchy de l’album où nous avons même droit à un solo de guitare digne de J Mascis, ou sur “Seeing Eye Dog”, autre long titre qui clôture l’album sur un tendre accord de guitare se répétant longtemps.
Ce titre final nous touche encore, à l’image de l’album, par son romantisme et sa délicatesse. Comme dans le reste de l’album également, ses paroles semblent évoquer des fragments de souvenirs d’un amour aujourd’hui disparu. Le groupe vient peut-être de vivre à la fois les pires et les meilleures années de sa vie. En tout cas, avec cet album, il a su nous atteindre en plein cœur.
Title Track
Milk Float
When I’m Far Away (From You)
Vegetable
What Isn’t Nurture ?
Bothsidesing
Undone
Anvil Bitch
Ouch (Yup)
(I Kissed the Smile On Your Face)
Seeing Eye Dog