La fille française de Björk entonne sur son second album un hymne à l’amour où se mêlent à merveille transe électro, textes ésotériques et vibrants orientalismes, dans un doux maëlstrom de spiritualité sensualiste.
“Que cet appel soit un chant d’amour”, invite en douceur Maude Trutet, alias Mood, dès le début de ce nouvel album, le second après “Do om”, en 2014, qui avait largement attiré l’attention. Une citation qui donne la couleur de ce qu’on va entendre ensuite, mais attention : comme Pulp, dans les années 1990, avait l’habitude de le réclamer sur ses notes d’album, il sera préférable d’écouter ce disque sans se référer au livret, et sans lire les paroles, car ce serait oblitérer de façon dommageable un mystère qui pour vous envoûter devra rester entier…
En effet, pour cette disciple de Meredith Monk, par qui elle a été formée et qui l’appelle sa “petite-fille”, pour cette adoratrice de Björk (dont elle pourrait être l’enfant spirituel, la lignée commençant à se dessiner de façon très nette, même si on pourra ajouter à ces deux aïeules les noms de Kate Bush, Lisa Gerrard, Susheela Raman, Camille ou Claire DiTerzi), la voix est un langage à part entière. Et la langue (le “français miroir” qu’elle s’invente, parfois l’anglais, mais aussi l’hindi) est un véhicule dont le sens se lie à ses arabesques vocales, enveloppant l’auditeur d’un nuage de sonorités qu’il interprétera selon son humeur du moment, et/ou son ouverture d’esprit, laissant l’artiste naviguer du chant lyrique au chant classique d’Inde du Nord ou traditionnel arabo-andalou, toutes techniques qu’elle maîtrise parfaitement.
Entre inspirations ancestrales et avant-garde, ce disque très organique va “De l’avant”, comme le déclame son autrice dans le morceau du même nom, peut-être le plus “björkien” du lot. L’espoir est toujours présent, l’amour est offert en proportions généreuses, l’apaisement et le réconfort se trouvent au bout du chemin. Spirituel et humaniste, sensualiste et naturaliste, “L’Appel” est tout simplement, et sincèrement, une ode à la vie.
Tube païen de l’album et peut-être de l’étrange été à venir, “Minuit” illustre parfaitement cette inspiration, célébrant la désagrégation des êtres qui se fondent à la nature, dans une cérémonie nocturne qu’on imagine bacchanale entre les vivants et les morts, au fond d’une forêt noire où brûleraient des feux autour desquels danseraient les humains et les esprits dans une ronde de réconciliation magique… Dans la foulée, “Vénus”, évanescent et incantatoire, s’offre comme un hymne à la femme amoureuse et à ses pouvoirs, proches de la sorcellerie ; ici, l’amour est vu comme une transe animiste, tandis que la voix céleste de Mood se déploie voluptueusement dans l’éther…
Plus loin, sur “Le Message”, l’artiste nous invite à brûler nos masques (ce dont tout le monde rêve sans doute en ces temps ternes et insolites) et à déposer nos “manteaux d’ombre”. Réconfort, toujours, dans le dernier morceau, “Autre toi”, autrement dit “Alter ego”, une histoire de miroir encore, idéale pour casser la glace dans laquelle on se mire parfois, pour enfin regarder l’autre, qui est aussi un peu soi… Car chaque être, comme la musique aux mille couleurs et facettes de Mood, est un puzzle, une multitude, et la musicienne une magicienne qui “ressent” les autres dans toutes leurs dimensions (“Kaléidoscopes”).
Avant un clin d’œil à Mike Oldfield (dans le titre en tout cas), intitulé “Ommadawn (L’Odyssée amoureuse)”, et un morceau traditionnel javanais où un drone électronique fait merveille, “Sri Rejeki Il”, Mood s’offre un joli duo avec l’épatant Américain William Z. Villain sur “Forêt de croix”, émouvant hommage aux jeunes soldats américains tombés en France durant la deuxième guerre. Sommes-nous dignes de leur sacrifice ?, se questionne Maude Trutet, embrassant les croix du cimetière et les esprits des disparus… Sur cet album, en tous les cas, où l’amour, l’empathie, la générosité, la sensibilité coulent à flots, la question ne se pose même pas.
En concert le jeudi 8 octobre 2020 aux Trois Baudets, à Paris.
oneuli
Bonjour, petite précision, Sri Rejeki n’est pas chanté en hindi, il s’agit d’un chant traditionnel javanais 🙂
David Guérin
Oneuli, merci, la modification a été apportée 🙂