La fin du confinement et, espérons-le, le retour graduel à une vie à peu près normale ne doivent pas nous empêcher de nous replonger dans quelques disques obscurs et oubliés. Et, parfois, d’y retrouver des chansons qui ont compté, et qui nous évoquent des souvenirs. Aujourd’hui, “Saudade” par Le Mans (1995).
C’est étrange, ces groupes étrangers qui prennent des noms de villes françaises. Pour les Anglais de Saint Etienne, je suppose que c’était un hommage rétro aux Verts du regretté Robert Herbin. Concernant Metz, c’est moins évident, mais selon leur page Wikipedia, les bruyants Canadiens font bien référence à la préfecture de la Moselle, « où Alex Edkins et Hayden Menzies se sont produits en 2006 avec leur ancienne formation The Grey ». Dommage, j’aurais aimé apprendre qu’ils sont des lecteurs dans le texte du sémiologue du cinéma Christian Metz…
Quant aux Espagnols qui s’étaient baptisés Le Mans, étaient-ils amateurs de rillettes ? Ou plutôt du film de 1971 dans lequel Steve McQueen dispute la fameuse épreuve automobile ? En tout cas, leur musique, charmante petite cylindrée pop, n’allait pas vraiment à cent à l’heure et faisait beaucoup moins de bruit que le moteur d’une Porsche 917. Assez prolifique (quatre albums ou mini-albums et une dizaine de singles entre 1993 et 1998), cette troupe mixte originaire de San Sebastian est restée très peu connue en France, sauf pour une minorité qui surveillait de près les sorties des labels Elefant – qui les avait signés – et Acuarela dans les années 90. Peut-être parce que Le Mans chantait en espagnol, choix plutôt logique mais qui le privait d’une large diffusion chez nous, malgré son nom. L’Argentine, le Japon, la Grande-Bretagne et l’Allemagne avaient semble-t-il fait preuve d’un peu plus de curiosité.
J’ai découvert le groupe avec son troisième album, “Saudade” (1996), que m’avait copié un ami sans accointances particulières avec la péninsule ibérique, et pas plus hispanophone que moi. Il reste mon préféré, moins pour la qualité des compositions – les Basques ont été plutôt constants dans ce domaine – que pour son tempo, sa production et ses arrangements. Le Mans, qui n’a jamais fait dans le gros son qui tache mais qui pouvait à l’occasion produire une indie pop sautillante, voire donner dans une electro lounge de bon goût (les remix de “Zerbina” et “Un rayo del sol”), avait opté sur “Saudade” pour le dépouillement. Peut-être un retour aux sources : les musiciens avaient commencé au milieu des années 80 sous le nom de Aventuras de Kirlian, sous influence Young Marble Giants et Marine Girls, et avaient alors été étiquetés ‘“minimalistes”.
Ici, on pense plutôt à la bossa nova, notamment à travers la voix à la limite de la justesse et presque transparente de Jone Gabarain qu’accompagnent une guitare acoustique à peine caressée, un violoncelle, une basse discrète et quelques frisottis de cymbales. Hormis le troisième morceau, “!Oh, Romeo, Romeo!”, un peu plus enlevé, il ne s’agit que de ballades qui ne font pas mentir le titre du disque – et de la chanson éponyme, parue en face B d’un 45-tours en 1995. Parmi d’autres excellentes influences, la biographie du groupe sur le site d’Elefant records mentionne Nick Drake et Julie London, et avec un peu d’imagination on peut voir dans l’album “a marriage made in heaven” entre ces deux-là. Avec sa musique de fin d’été ou de petites heures du matin, “Saudade” est resté un compagnon fidèle, autant que les chansons homonymes et nettement plus fameuses d’Etienne Daho et Cesaria Evora (qui, elle, s’écrit “Sodade”). C’est un disque qui donne envie de rester chez soi : c’est donc le bon moment pour le ressortir, ou pour le découvrir.