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Interviews

Robert Forster : « Je ne ressens pas le besoin de sortir un disque tous les ans »

Dans le premier chapitre de “Bad Vibes”, son hilarante et féroce autobiographie (non traduite en français), Luke Haines (The Auteurs, Baader Meinhof, Black Box Recorder…) offre un portrait particulièrement haut en couleur de Robert Forster. Nous sommes fin 1987, à un concert de Felt à Londres, où tout le gratin indie de l’époque se retrouve au bar. Le lendemain, les Go-Betweens doivent quitter la ville où ils ont vainement attendu le succès pendant une bonne partie de la décennie et rentrer en Australie. Forster, écrit Haines, vient alors tout juste d’achever sa phase “Prince”, et « son nouveau look est quelque part entre Iggy période “Raw Power” et Sherlock Holmes » – il porte une cape en tweed. « Tout le monde adore Robert Forster, et personne n’arrive à expliquer pourquoi il n’est pas une énorme star », ajoute l’auteur de “Showgirl”.

S’il reste encore aujourd’hui inconnu du grand public, l’artiste que l’on rencontre 32 ans plus tard dans les backstages de la Boule noire, à Paris, quelques heures avant un concert solo qui s’avérera absolument réjouissant, est bien loin de cette description. Sa haute stature, ses cheveux grisonnants et sa mise sobre et sombre lui donnent plutôt l’allure d’un clergyman. Mais rien de sentencieux ou d’excessivement sérieux chez cet homme qui, plusieurs mois après la sortie de son dernier album, le très réussi “Inferno”, et donc hors obligations promotionnelles (même si ses deux premiers albums solo doivent être réédités fin mars), a la gentillesse de nous consacrer quelques dizaines de minutes. L’occasion de parler de sa pratique de l’écriture (chansons, bien sûr, mais aussi journalisme musical et peut-être bientôt roman), de son rythme de travail et de sa supervision de l’imposante anthologie des Go-Betweens, dont le deuxième volume est sorti récemment. Diving for his memory

La fois précédente où tu t’es produit à Paris, à l’Espace B, c’était une soirée un peu spéciale : il s’agissait d’une discussion avec Dave Haslam autour de ton autobiographie “Grant & I”, entrecoupée par quelques morceaux joués en acoustique. Que retires-tu de cette expérience ?
J’ai bien aimé ça. Je l’ai aussi fait à Manchester avec Dave. Ça ne me dérange pas de parler devant un public, même si je préfère quand même jouer simplement mes chansons. Mais c’est agréable de changer un peu. Grâce à ce livre, j’ai aussi participé à des festivals littéraires, d’ailleurs.

Sur la chanson “No Fame”, extraite de ton dernier album, tu évoque de façon un peu ironique l’écriture d’un roman. Vois-tu cela comme un but dans l’existence ?
Je ne sais pas, mais en tout cas je suis en train d’en écrire un ! Enfin, je n’appelle pas vraiment ça un roman, c’est plutôt une histoire, cela me met moins de pression… Pour l’instant, j’en suis à l’étape du brouillon, il faut que je le reprenne. Cela fait deux ans que je travaille dessus, j’ai écrit environ 60 000 mots. J’en suis plutôt satisfait, même si je pense qu’il y a encore du travail de mise en forme. Quand ce sera terminé, je le donnerai à un éditeur et je verrai bien ce qu’il me dira. C’est très différent de “Grant & I”, en tout cas.

Il n’y a pas d’éléments autobiographiques ?
Si, mais c’est fictionné, de façon très ludique. Je pense que ce sera un livre divertissant, pas un “big heavy novel”, un pavé. D’ailleurs, 60 000 mots, ce n’est pas énorme. Je ne voulais pas faire quelque chose de trop long. Plutôt quelque chose qui se lit assez vite.

A l’époque des Go-Betweens, écrivais-tu déjà autre chose que des textes de chansons ?
Non. Dans les années 90, entre la séparation et la reformation du groupe, m’est venue l’envie d’écrire autre chose, des histoires. Pendant trois ou quatre jours, j’avais une idée qui m’excitait et j’écrivais quelque chose comme 1500 mots. Et puis, pfff… je laissais tomber. Quelques mois plus tard, je m’y remettais. Et ainsi de suite… En 2000, les Go-Betweens ont repris leur activité et j’ai un peu oublié ces velléités d’écriture. Et puis, en 2005, un magazine australien, “The Monthly”, m’a proposé de signer des critiques de disques et des comptes rendus de concerts. J’ai accepté, et j’ai été surpris de constater que ça venait facilement. Tout au long des années 90, j’avais essayé de me mettre à la fiction, et je m’apervais finalement que je pouvais écrire de la “non-fiction” et que ça me rendait heureux. Là aussi, je m’y suis attelé pendant trois ou quatre jours et j’ai trouvé le résultat suffisamment satisfaisant pour que je continue, alors que dans les années 90 je ne savais pas trop de quoi parler : de mon enfance ? de la fin des années 70 ? Devais-je inventer une histoire ? Là, quand j’ai commencé la critique musicale, ça m’a donné confiance, et je pense que ça m’a aidé à écrire “Grant & I”. Et écrire “Grant & I” m’a aidé à écrire ce livre que je suis en train de terminer.


Considères-tu certaines de tes chansons, comme “Life Has Turned a Page” sur le dernier album, comme des sortes de nouvelles mises en musique ?
On peut dire ça, oui… (il réfléchit). Même si écrire des nouvelles est une discipline tout à fait différente, un peu comme réaliser un film. Mais je pense que les paroles de mes chansons ont en tout cas du contenu, ce n’est pas « I love you baby, let’s go down to the disco. Dancing, dancing, dancing. Dancing, dancing, dancing, all night long »… Ce qui peut être très bien, ceci dit ! Dans mon cas, comme je le disais, j’ai mis beaucoup de temps avant d’écrire de la critique musicale puis un récit, “Grant & I”. Donc, pendant longtemps, tout ce que j’avais, c’était ces paroles de chansons, et j’y mettais tout ce qui était important pour moi. Comme si je disais : « Ceci est mon histoire, ma poésie, mon livre… » Tout ça sous la forme de simples textes de chansons.

Dans une courte vidéo de Penguin Books, tu évoques un biopic des Go-Betweens et tu dis que tu verrais bien l’acteur Benedict Cumberbatch (“Sherlock”) jouer ton rôle. C’est un vrai projet ?
Oh, non, pas pour l’instant ! Mais avant même cette vague de biopics musicaux comme “Bohemian Rhapsody” sur Queen ou “Rocket Man” sur Elton John, j’avais eu l’idée d’un film sur les Go-Betweens. Et je pense que ça pourrait se faire, après tout. Peut-être pas un biopic du groupe en tant que tel, mais un sorte d’adaptation de “Grant & I”, avec deux personnages principaux, donc, et une relation forte, où il se passe beaucoup de choses. Ceci dit, il y a déjà eu un documentaire, “Right Here”.

Tes derniers disques sont sortis sur le label allemand Tapete Records, qui a à son catalogue d’autres artistes de ta génération. Comme Bid du Monochrome Set, penses-tu que c’est le label idéal pour toi ?
Je suis très content de travailler avec eux, en tout cas. Quand ils t’annoncent qu’ils vont faire quelque chose, ils le font. J’imagine que Bid pense à peu près la même chose. Ils sont très enthousiastes, promeuvent bien les disques qu’ils sortent, sont très sérieux. Pendant longtemps, le pays où je vendais le plus de disques et où le plus de gens venaient me voir jouer, c’était l’Allemagne, où je m’étais installé. Donc c’est une bonne chose pour moi d’être sur un label allemand… qui est même un label européen, aujourd’hui. Les disques sont bien distribués.

« Longtemps, je n’ai écrit que des paroles de chansons, et j’y mettais donc tout ce qui était important pour moi. »

Tes trois derniers albums solo sont sortis en 2008, 2015 et 2019. Ce rythme plutôt lent te convient ?
Oui, je ne ressens pas le besoin d’écrire beaucoup de chansons et de sortir un disque tous les ans. Ceci dit, en ce qui concerne les sept années écoulées entre les sorties de “The Evangelist” et “Songs to Play”, ce n’était pas vraiment mon choix, c’était trop long. J’aurais préféré sortir un nouveau disque en 2011 ou 2012, mais je suivais alors un traitement médical qui a beaucoup retardé mes activités, ce sont des choses qui arrivent… Je crois qu’un album tous les quatre ans, c’est un bon rythme pour moi. C’est en tout cas ce dont j’ai besoin pour en réaliser un, mais tous les artistes ne fonctionnent pas de la même façon. Après, je pourrai sans doute sortir un album tous les dix-huit mois ou tous les deux ans comme le Monochrome Set : une moitié serait bonne, l’autre moitié passable… Je préfère quand même croire en toutes les chansons que j’écris et les aimer toutes. Donc il me faut quatre ans !


Le plus beau concert solo de toi que j’ai vu, c’est sans doute celui du Week-End Fest à Cologne en décembre 2013, où tu jouais avec un quartette de cordes. Aimerais-tu renouveler l’expérience ?
Oui, même si on avait eu peu de temps pour répéter. Je l’avais d’ailleurs refait à Adélaïde, en Australie. J’avais beaucoup aimé ça et il n’est pas impossible que je rejoue dans cette formation à l’avenir. On avait même failli enregistrer un album. En tout cas, c’est toujours dans l’air. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui je suis bien occupé, entre mes albums solo, les livres, les concerts en solo ou en duo, l’anthologie des Go-Betweens…

Pour “Inferno”, tu as travaillé avec le producteur Victor Van Vugt (The Apartments, Luna, Nick Cave, Epic Soundtracks, PJ Harvey, Beth Orton…), pour la première fois depuis ton premier album solo qu’il avait enregistré et mixé. Pourquoi l’as-tu choisi ? Parce qu’il est sympathique et qu’il était disponible ? Ou pensais-tu qu’il pouvait apporter quelque chose de particulier ?
Il est sympathique et il était disponible, en effet (sourire). Au-delà de ça, je voulais changer un peu de style. J’avais enregistré “Songs to Play” de façon très simple, en analogique, dans les montagnes en Australie [le mont Nebo, près de Brisbane, NDLR]. Là, je souhaitais faire un album plus urbain, avec un son plus gros et plus beau. Et Victor est très bon pour enregistrer les voix, les sons, pour mixer. Depuis la fin des années 90, j’avais envie de travailler avec lui, mais il s’était installé à New York et je voulais enregistrer en Europe cette fois-ci. Or, il se trouve qu’il a emménagé à Berlin où il a monté un studio… Je suis arrivé avec les chansons écrites et les arrangements, et son rôle était simplement de les enregistrer et de les produire le mieux possible, ce qu’il a fait. Ça ne nous a pris que deux semaines. De toute façon, je n’avais pas beaucoup d’argent. Le studio était agréable et tout s’est fait facilement. En fait, l’apport le plus déterminant de Victor, ça a été de touver un batteur, Earl Harvin. Il fait partie des Tindersticks aujourd’hui. Il a aussi joué avec The The, Joe Jackson, des musiciens pop plutôt mainstream, il est musicien de session à Londres. Victor m’a convaincu de l’engager et il s’est très bien intégré au groupe.

Ton fils Louis joue dans le groupe The Goon Sax. Quand tu le vois et l’entends, te fait-il penser à toi au même âge ?
Le contexte est quand même assez différent et il n’aura sans doute pas la même carrière que moi car le monde de la musique a beaucoup changé. Et en plus d’être selon moi un très bon songwriter, c’est un instrumentiste plus accompli que moi à son âge. Il sait jouer de la basse, programmer une boîte à rythmes… Moi, je reste pour l’essentiel un singer-songwriter avec une guitare acoustique, quand lui est un musicien moderne.

Tu as supervisé les deux coffrets des Go-Betweens sortis jusqu’ici. Es-tu satisfait du résultat ?
Oui, vraiment. Le travail accompli sur le second, qui porte sur les années 1985-89 [il n’était pas encore sorti au moment de l’interview, NDLR], est incroyable, et il y a eu de très bonnes critiques dans la presse britannique. L’objet est beau, les disques sonnent très bien, je suis ravi du résultat. Ça nous a demandé quatre ans de travail pour le premier, et autant pour le second, c’était beaucoup. J’espère qu’on arrivera à faire le prochain en deux ans, je vais bientôt commencer à travailler dessus. C’est vrai que nous avions beaucoup de morceaux rares, qui ne figuraient pas sur les albums, et certains sont parmi nos meilleurs. Sur le troisième volume, qui couvrira la reformation du groupe dans les années 2000, il y aura même beaucoup de choses que personne n’a jamais entendues.

Photos prises par Emmanuel Foricher lors du concert à la Boule noire le 28 novembre 2019.

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