Pale Saints a tout du groupe culte que l’on n’arrive jamais à oublier tout à fait. Signé en 1989 par 4AD, qui fait alors figure de plus beau label du monde (c’est l’année de “Doolittle” des Pixies), la formation de Leeds, menée par son chanteur Ian Masters, timide maladif, musicien intransigeant et perfectionniste, aura produit deux des albums majeurs de l’époque qui, soyons-en convaincus, n’ont pas pris une ride. La réédition du premier d’entre eux, “The Comfort of Madness”, trente ans après sa sortie (dans une version simple ou double avec un disque bonus contenant des démos et une Peel Session), est l’occasion rêvée de se replonger dans une musique qui échappe souvent aux catégories, au-delà de la seule étiquette shoegaze que l’époque lui aura paresseusement collée.
Ce qui frappe encore aujourd’hui, à l’écoute de ces onze titres sans temps mort (ils sont même reliés entre eux par de brèves plages expérimentales), c’est leur évidence mélodique et leur fraîcheur, portées par des jeunes gens sûrs d’eux-mêmes. De ceux, rares, qui prennent tous les risques et réussissent toujours à retomber sur leurs pieds. Aussi, aux standards de l’époque (voix éthérées et guitares cotonneuses, parfois bruyantes), les Pale Saints ajoutent quelque chose d’unique, un art du montage, un goût pour les dissonances aussi, qui leur font souvent tutoyer les étoiles d’une manière absolument unique.
“The Comfort of Madness” est à l’image de la sublime pochette que le regretté Vaughan Oliver a inventée pour lui. Un rêve éveillé où ce qui est a priori opposé s’assemble. Dans ses compositions, Ian Masters fait feu de tout bois. Ces enfants du psychédélisme anglais ont retenu la première leçon de leurs aînés : faire preuve d’une liberté farouche, alliée à l’intuition. Il faut réécouter “Sea of Sound” (un titre qui résume en quelque sorte le contenu) et son chant en apesanteur, ses accélérations brèves et ses ruptures, ou “Little Hammer”, sa mélodie crève-cœur, comme un dernier adieu à l’enfance, pour saisir un peu de l’âme tourmentée de Ian Masters. « A beautiful voice is a nail, being pulled out of wood. Carry on little hammer, you were always my favourite toy. When the world’s dead to me. »
Les Pale Saints de 1990, comme le Floyd de 67 ou les Feelies de 80 : des jeunes gens qui refusent de se conformer à l’âge adulte et se bâtissent un univers qui n’appartient qu’à eux. Au risque de se perdre dans l’un de ces labyrinthes, construits patiemment de leurs mains, mais d’où l’on ne ressort pas. C’est l’histoire de Kevin Shields après “Loveless”, mettant une vingtaine d’années pour donner une suite à l’un des autres sommets de l’époque. C’est aussi celle du groupe qui après “In Ribbons”, deuxième album sous-estimé et merveilleux (leur ligne claire à eux), verra le départ de son leader. Ian Masters, après la courte aventure Spoonfed Hybrid (un très bel album à redécouvrir), disparaîtra peu à peu des radars. Il vit au Japon depuis 2005. Hormis quelques brèves apparitions de son auteur sur des projets extérieurs, “The Comfort of Madness” n’aura donc jamais eu à proprement parler de descendance. Mais son empreinte, pour ceux qui ont eu la chance de croiser un jour la musique des Pale Saints, n’en est que plus vive. Comme un parfum d’éternelle jeunesse.
Bilan 2020 – Les rééditions – POPnews
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