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Disques

Algiers – There Is No Year

Algiers, c’est d’abord une voix. Une voix puissante et passionnée. Une voix déclamatoire et enfiévrée. Une voix portant un discours révolutionnaire et politisé. Cette voix, c’est celle de Franklin James Fisher, chanteur afro-américain d’Algiers. A l’écoute des albums d’Algiers, c’est cette voix qu’on remarque immédiatement tant elle prend de la place, tant elle englobe aussi toutes les traditions de la musique noire américaine, du blues au hip-hop, en passant par la soul et le gospel. Elle nous avait déjà frappés avec le premier album sans titre d’Algiers, sorti en 2015, album de post-punk gospel, s’il fallait trouver une formule résumant leur musique, activité ardue s’il en est tant ce mélange de tension et de désolation, de révolte et de dislocation, pouvait difficilement rentrer dans une case.

« The Underside of Power », le deuxième album de ce trio originaire d’Atlanta, sorti en 2017, apparaissait déjà plus varié et surtout plus rythmé, plus basé sur les percussions, notamment en raison de l’arrivée au sein du groupe de Matt Tong, l’ancien batteur de Bloc Party. Après la sortie de cet album, Algiers a enchaîné avec deux ans de tournée, tournée au cours de laquelle ils ont l’occasion de jouer dans des stades en première partie de Depeche Mode. De cette tournée, ils sont revenus épuisés et cela a fortement impacté la conception de leur troisième album. D’abord, cet album « There Is No Year » qui reprend le titre du roman, sorti en 2011, de Blake Butler, originaire d’Atlanta comme Algiers (l’album lui est d’ailleurs dédié), roman relatant l’histoire d’une famille frappée par un fléau d’activités paranormales, a pour origine un long poème intitulé « Misophonia », écrit par Franklin James Fisher, où celui-ci exprime ses doutes et son anxiété face à l’instabilité du monde. Les paroles des chansons sont inspirées de ce poème qui est d’ailleurs reproduit à l’intérieur de l’album. Cela produit des paroles sombres avec des visions d’horreur de terres ou de rues qui brûlent. Cela peut évoquer le changement climatique actuel. Mais, bien souvent, cette atmosphère de terreur est provoquée par l’auteur lui-même qui, dans la logique insurrectionnelle qui est celle d’Algiers depuis ses débuts, entend tout renverser (« Everybody wants to break down » répété à plusieurs reprises sur « Dispossession ») et qui, pour cela, sera sans pitié (« No, we won’t show mercy » répété également sur « We Can’t Be Found »).

Pour faire passer cette poésie de l’insoumission, la musique s’avère plus légère et plus accessible que sur les albums précédents. C’est là le grand changement de cet album. L’ambiance sombre et fantomatique du premier album, la fureur soul du second laissent ici la place à moult synthés, boîtes à rythmes, instruments électroniques et autres effets sonores produisant des quantités de sons et accélérant franchement le rythme de leur musique. Dès les premières secondes de « There Is No Year », le morceau d’ouverture et la chanson-titre de l’album, le ton est donné. Nous avons affaire à un rythme tendu, pressé qui n’est pas vraiment fait pour danser tant il dégage plutôt une atmosphère oppressante. Les rythmes électroniques dominent également « Hour of the Furnaces » (titre qui fait référence à « L’Heure des brasiers », documentaire de 1968 de Fernando Solanas sur l’état de l’Amérique du Sud à l’époque, Algiers étant toujours friand de références, leur nom étant d’ailleurs un hommage au film de 1966 « La bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo) pour proposer une sorte de soul électronique. Sur « Chaka », nous sommes transportés dans les années 80 tant les synthés, les beats electro semblent produire un véritable R&B rétro-futuriste. Il faut alors souligner l’apport des deux producteurs du disque, Randall Dunn (connu pour son travail avec Sunn O))) et Earth) et Ben Greenberg qui démontrent ici leurs talents pour superposer les sons.

L’album est donc plus rythmé mais, sur chacune des deux faces du disque, comme c’est parfois l’usage, nous avons droit à un morceau plus lent. Ainsi, avec « Losing Is Ours » sur la première face, le rythme ralentit pour laisser la place à des chœurs gospel qui apparaissent plus incarnés, plus vivants et moins fantomatiques que sur le premier album. Néanmoins, ces chœurs ne sont là que pour accompagner Franklin James Fisher qui, avec sa voix, sur cet album, occupe une place encore plus centrale. Sa voix prend encore plus d’importance que sur les albums précédents.

Au final, si l’on excepte « Void », morceau de punk hardcore qui arrive, à la toute fin, comme un cheveu sur la soupe, on ne peut que saluer la cohérence de cet album ainsi que la progression de ce groupe qui a su faire évoluer sa musique, en y incorporant beaucoup d’électronique, tout en gardant son identité propre. On a tout de même des difficultés à adhérer à cette évolution tant on reste nostalgique du choc qu’avait été leur premier album il y a cinq ans maintenant. Choc, tant esthétique qu’idéologique, qui laissera des traces encore pour longtemps.

There Is No Year
Dispossession
Hour Of The Furnaces
Losing Is Ours
Unoccupied
Chaka
Wait For The Sound
Repeating Night
We Can’t Be Found
Nothing Bloomed
Void

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