« How Did This Happen ?! » Comment cela est arrivé ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Pourquoi ai-je tellement succombé à cette chanson que je n’ai cessé de l’écouter ? Est-ce la basse vrombissante des premières secondes ou la batterie et le chant pleins de tension qui enchaînent ensuite qui m’ont fait cet effet-là ? Quelle chimie mystérieuse du cerveau a agi sur moi pour que je devienne dingue d’une chanson comme ça ? C’est le genre de questions qui viennent à l’esprit quand on est à ce point conquis par une chanson. Ces questions sont celles que je me pose depuis que j’ai entendu, pour la première fois, le premier single de ce quintet new-yorkais appelé Bodega.
Ce groupe a été formé à Brooklyn en 2016, sur les cendres d’un groupe nommé Bodega Bay, par le couple composé de Ben Hozie et Nikki Belfiglio. Dès la formation du groupe, douze commandements ont été édictés, tels une marche à suivre ou plutôt des règles à respecter : pas de glam rock, pas de paroles répétées, pas d’effets vocaux, etc. Ces règles ont présidé à l’élaboration d’un premier album intitulé « Endless Scroll » et sorti l’année dernière sur le label What’s Your Rupture (Parquet Courts, Iceage). Cet album, produit justement par Austin Brown de Parquet Courts, nous a proposé un post-punk acéré, à la rythmique tendue, au chant souvent scandé et aux riffs de guitare tranchants, les paroles des chansons évoquant avec sarcasme l’emprise des réseaux sociaux et des nouvelles technologies sur nos vies (d’où la pertinence d’un titre comme « Endless Scroll » pour décrire le fait de faire défiler à l’infini sa timeline sur les réseaux sociaux). Le groupe dénonçait également la gentrification new-yorkaise et la vie difficile à Brooklyn. Cet album a recueilli de bonnes critiques, certains n’hésitant pas à les qualifier de « nouvelle sensation new-yorkaise » (en sachant qu’ils ne sont ni les premiers ni les derniers à recevoir un tel qualificatif).
Pour ma part, l’écoute de cet excellent album s’est rapidement révélée insuffisante. Il fallait aussi que je les voie sur scène. N’ayant pu être présent pour leur prestation aux Transmusicales de Rennes, je me suis dirigé vers Saint-Malo pour les voir à l’occasion de la Route du Rock Hiver en février dernier. J’ai alors pu assister à un concert survolté où le groupe avait même tendance à jouer trop vite les morceaux de l’album. Ce très bon concert s’est terminé, comme sur l’album, par « Truth Is Not Punishment », véritable morceau de bravoure où le groupe a emporté le public dans une transe qui n’avait plus de fin.
On retrouve cette chanson sur l’EP qui nous intéresse, ce nouvel EP de huit titres intitulé « Shiny New Model » et sorti toujours sur le label What’s Your Rupture. Deux versions de cette chanson terminent le disque. Pour finir, se trouve une version proche de celle de l’album. Juste avant, se trouve une version à rallonge du morceau, une version qui justement retranscrit fidèlement l’interprétation qui en est faite sur scène. Encore une fois, nous sommes emportés dans une forme de transe où cette chanson « Truth Is Not Punishment » apparaît plus rapide et plus tendue que sur l’album, avec une rythmique implacable et une guitare qui oscille entre riffs tranchants à la Gang of Four et triturations à n’en plus finir. C’est incontestablement le moment fort de cet EP qui permet de retranscrire sur disque les concerts enfiévrés du groupe. L’EP est également composé de deux morceaux courts (« Realism » et « No Vanguard Revival », assurément la chanson la plus punk de leur répertoire, avec ses guitares cinglantes qui impressionnent) qui surprennent au milieu du disque. Pour le reste, ce chant scandé si caractéristique est toujours présent (« Knife On The Platter »). Apparaît tout de même une évolution dans le groupe où celui-ci semble se rapprocher du style de leurs amis de Parquet Courts avec ce mélange de tension, de morgue et de cool attitude (« Treasures Of The Ancient World »). Le groupe évolue donc un peu. On est impatient de connaître la suite.