La dernière fois que l’on avait eu des nouvelles des Chromatics, c’était lors d’une apparition mémorable dans “Twin Peaks, the return”. C’était en 2017, sous les lumières bleutées du Bang Bang Bar (comme un hommage à Nancy Sinatra ?), le groupe y interprétait “Shadows”, sublime chanson. Une séquence comme échappée d’un rêve ancien, tant les titres des américains ont semblé depuis toujours, en mariant le feu et la glace, convenir parfaitement à l’univers de David Lynch, comme ce fut jadis le cas pour Julee Cruise.
“Closer to grey”, sorti début octobre sans annonce préalable, arrive alors que l’on ne l’attendait plus. Signe supplémentaire du perfectionnisme animant le groupe depuis toujours, le disque fait suite à un projet de LP avorté en 2015 (à l’époque des milliers d’exemplaires furent même pillonnés à la demande de Johnny Jewel), et la publication d’une poignée de formats courts, suscitant une attente devenue interminable.
Plus immédiat que “Kill for Love”, son chef d’oeuvre publié en 2011, “Closer to grey” se révèle être à l’écoute un beau disque de dream-pop rêveuse, comme le groupe est seul au monde capable de produire. D’une reprise en apesanteur de “Sound of Silence”, ravivant toute la puissance mélancolique du titre de Simon and Garfunkel, à l’épure de “Move a Mountain” et de “Wishing Well”, le groupe poursuit ses explorations sonores, en liberté, sans se soucier du goût de l’époque : on sait depuis longtemps l’attachement des portlandais aux premiers synthétiseurs possédant un grain particulier, à cette courte ère d’avant le numérique où tout semblait possible. Un âge d’or, comme un temps d’adolescence éternelle, où, sous les images en papier glacé, l’effroi n’est jamais loin. Malgré sa pochette en trompe-l’oeil cinémascope, “Closer to Grey » s’avère moins complexe et anxiogène que le disque-labyrinthe que fut “Kill for love”. Privilégiant les morceaux courts, les Chromatics n’ont pourtant rien perdu de leur pouvoir d’attraction.