Depuis qu’on a mis nos oreilles d’ânes dans la musique de Fabio Viscogliosi, elles ont été prises au lasso. C’était un petit album rose, avec un âne et une corde, écouté chez une copine et dont la pochette nous avait attrapé l’œil dans Magic, rpm. On pouvait donc être happé par la pop moderne, chantée en… italien ? « Spazio », ça s’appelait, et effectivement c’était plein d’espaces, d’échos qui résonnent sur l’enregistrement d’une batterie ou un clavier de piano droit. C’était hyper addictif et même temps, acide et branque, plein de collages, de field recordings et de boucles électro. Plein d’instrumentaux aussi. Et qu’on aimait autant que les chansons. Vraiment bizarre. Est-ce que c’est pour ça qu’on s’était mis à l’italien, la copine et nous, chacun de notre côté ? C’était en tout cas sinon un sacerdoce, au moins une vocation.
Puis on a acheté, au patron de Microbe, je crois même, dans une foire au disque de Mains d’œuvres (le même jour qu’un exemplaire 45-tours de Peter Parker Experience, celui avec Bernadette Lafont, Maman Putain, en lunettes noires). Il m’avait bien fait l’article : c’est encore mieux, super produit comme il voulait et puis la pochette-cartes postales en accordéon… Comment résister ? On retrouvait dans ce « Fenomeno », tout le sel de « Spazio » mais effectivement, plus rond dans sa production, moins d’espaces (quoique) mais plus de tensions, de guitares électriques et de batterie qui cogne (JM Pirès, toujours, encore, impérial sur « Rumbubble » ou « Astro di Gomma ») et puis, toujours ce sens de la mélodie qui vous colle à jamais pour ne plus vous lâcher. Ça s’appellait « Quindi », entre autres (et ne me parlez pas de « Il tuo Sorriso », douze ans après, c’est toujours là), et j’ai même été jusqu’à écrire à Fabio Viscogliosi via Messenger pour lui demander paroles et accords des années après l’achat du disque. Message auquel il a gentiment répondu, c’est dire si le garçon est délicieux et si sa musique me colle au corps. Il y avait aussi un « Il Nostro Caro Angelo » (avec Amedeo Pace de Blonde Redhead), deuxième incursion dans le répertoire de Lucio Battisti après « Ancora Tu » (avec The Married Monk sur « R/O/C/K/Y »). C’est dire si le jeune homme a du goût. Et s’il nous a initiés à tant de merveilles. Alors ne me demandez pas de dire du mal de Fabio Viscogliosi !!!
Ça tombe bien, on n’en dira pas : « Rococo », sorti chez Objet Disque, vient prendre dignement sa place auprès des deux autres, malgré un caractère vraiment différent. Des oreilles, plus autorisées que les nôtres, nous avait prévenues : attention, il chante en français. C’était annoncé, ici même dans une interview… dix-sept ans plus tôt. Et effectivement, c’est un peu choquant car plus frontal, et que la distanciation de l’italien ne fonctionne plus. « Rococo » est un album maniériste, avec une façon tout à fait italienne de dire le français, de le ponctuer autrement. C’est d’autant plus étonnant que « Spazio » et « Fenomeno » étaient maniéristes aussi mais à l’envers, avec cet italien tordu, aux accents très légèrement français. Tout l’art de Fabio Viscogliosi est de serpenter dans cet axe-là.
Deuxième choc, finies les aspérités qui grattaient toujours un peu partout : la batterie est plus en retrait, les cordes sont vraiment caressantes et ne surgissent plus de recoins bizarres, les mélodies sont moins compliquées. C’est un Fabio Viscogliosi qui ne cherche plus à séduire par ces petites bizarreries de pop à la fois simple mais tarabiscotée. Tout juste retrouvera-t-on ce goût de l’écart qui prend la forme de quelques accords de départ, qui subitement dérapent pour donner une toute autre couleur à certains morceaux.
Est-ce qu’on est un peu déçu d’être en chemin si bien balisé ? Peut-être un peu. Déstabilisé par cette zone de confort, certainement. Et puis, soudain il y a « Dicembre », avec lequel, il nous refait le coup de « Quindi », avec les mêmes gratouillis d’accords, la voix lasse et voilée, pleine d’écho, mais qui fait tout et on replonge à fond. Ah, quel charme, ces Italiens ! Surtout enchaîné avec l’étrange parfum du « Jasmin », mélodie zigzagante aux effluves envoutantes qui rappelle tout un tas de souvenirs enfouis (le prénom de Giuletta Masina dans La Strada, c’était pas Gelsomina ?). Et cet outro, tout en claviers de guingois qui gingeolent.. Ça tient à peu de choses, le génie.
C’est sale et poisseux la pop, mais tellement sensuel, comme sur « La Plage », un peu Coutin sur les étiquettes mais tellement accroche-cœur. Au cœur justement, il y a aussi « Les Palmiers sauvages », faulknérien (dumontien ?). Il y a dans la musique de Fabio une insondable mélancolie qui nous fait remonter tout un tas de souvenirs et de sensations enfouis. Écouter Fabio, c’est thérapeutique. Et on se laisse prendre petit à petit, malgré nos maigres réticences de premier abord, et finalement, ce « Rococo » ne nous lâche pas de l’été, comme les autres l’ont fait en leur temps.
On retrouve les mêmes étrangetés (« Gatto di luna »), ces atmosphères de BO de Mancini ou de John Barry (« Il Bel Bagno Paradiso »), cette étourdissante facilité mélodique et la savante orchestration qu’on trouve chez Battisti. Et même si on reste attiré vers les textes obliques, aux vers comme autant de vignettes de BD au sens suspendu, de préférence en italien, on fait, peu à peu, nôtres ceux, forcément, moins cryptiques en français (quoique… « Le Secret »).
En tout cas, on est à cran : Objet Disque annonce déjà la sortie de « Notte » pour 2020. Seulement ?
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