My North Eye fut, aussi, un duo : le mélancolique folkeux Yann Lafosse et le taiseux violoniste Mathias Assadour. De cette rencontre épiphanique, restent quelques souvenirs de concerts et cet enregistrement de 2011, après lequel Mathias décide de ne plus jouer sur scène et de garder son violon pour lui. C’est tout à l’honneur de Yann Lafosse de ressortir maintenant cet enregistrement documentant cette période et de distinguer ainsi son partenaire d’un temps.
My North Eye fut donc, aussi, un duo de voix, celle de Yann et celle du violon de Mathias Assadour, une sorte de Dirty Three – 1. Ça tombe bien, car c’est un album de manque qui correspond à cette arithmétique, à cette arythmie de cœurs qui ne battent plus ensemble.
Le violon laisse exprimer toute sa gamme dans la douleur mais il est parfois plus aigre et rêche également. Il est souffrances, il est stridences. Sur « A Cigarette and a Song », les cordes sont frappées-frottées ; sur « Nothing for Nothing », elles sont plaintes ; sur « The Road that never ends », pizzicatis et sur Brand tout en grésillements.
La guitare de Yann est, peut-être, un peu plus métronomique qu’à l’accoutumée, ferme et droite pour laisser vagabonder le violon et duetter avec la voix qui est sur une ligne claire (« Love song 2 »). C’est un Dylan clairet, un Cohen (un tout petit plus) rapide et gai (enfin, ça se discute, les veines pas encore taillées : Cohen est trop ralenti et à bout pour tailler quoique ce soit).
On entend aussi, en final, un sample d’une chanson de Patsy Cline comme un écho ouaté onirique à la chanson qu’écoutait le narrateur dans « A Cigarette and a Song ». De fantôme, il est beaucoup question ici. D’absence aussi. Cet enregistrement est le journal d’un temps passé, de douleurs aiguës, acides qui contrastent avec les dernières sorties (« II », « My North Eye LP ») portés sur le bourdon, les graves. Cela apporte une certaine distance assez étonnante et déroutante pour ceux qui suivent le parcours de cet artiste singulier (dont la photo de la pochette, à grain, de Yann Lelias serait un écho, recousant le passé et le présent). La boucle serait-elle bouclée ? Les blessures (un tantinet) guéries ? Est-ce le signe d’un nouveau départ ? Affaire discographique à suivre…