Avec 21500 entrées payantes (et plus de 25 000 en tout), la Route du rock 2019 a fait un peu mieux que l’année précédente, où elle avait pourtant aligné les noms prestigieux. Un score plus qu’honorable, donc, d’autant que la pluie n’a épargné que la première des trois soirées au Fort de Saint-Père, celle du jeudi avec Tame Impala en tête d’affiche, qui a attiré à elle seule plus de 10 000 spectateurs. Plutôt de bon augure pour l’an prochain, où le rassemblement malouin fêtera sa trentième édition – avec quelques surprises, espérons-le. En attendant, retour sur cette « Collection été » n° 29.
Jeudi 15 août
La Route du rock commence pour nous sur la scène des Remparts le jeudi à 18h30, avec les Australiens de Pond qui viennent de sortir leur huitième album (depuis 2008, ils sont plutôt productifs) mais dont on n’avait pas entendu parler jusqu’à récemment. Leur atout principal est leur chanteur Nick Allbrook, vieux pote de Kevin Parker de Tame Impala qui a produit leur dernier disque. Farfadet en jeans et T-shirt en fin de vie, évoquant même un faune quand il se met à la flûte traversière (!), il fait des gestes étranges et n’hésite pas à descendre voir le public… en chantant un extrait d’“Osez Joséphine” de Bashung ! Les chansons, dans un style plutôt eighties, parfois limite prog FM, ne sont pas toutes marquantes, mais plutôt bien fichues. Une sympathique entrée en matière.
L’enthousiasme redescend d’un cran face aux Fontaines D.C. sur l’autre scène, dont on attendait pourtant beaucoup à l’aune d’un premier album très réussi. Le groupe ne jouera que 35 minutes à peine contre les 40 prévues, omettant ses meilleurs morceaux, et n’arrivant jamais à faire décoller son concert. Le chanteur affiche une étrange nervosité sur les parties instrumentales (où il n’a donc rien à faire), sans que celle-ci ne se transforme jamais en intensité. D’après des amis ayant vu leurs concerts précédents, c’est toujours un peu comme ça… On leur donnera peut-être une nouvelle chance en allant les voir à l’automne au Bataclan. Ou pas.
Autant dire que le concert d’Idles offrait un contraste saisissant. Le groupe écume les festivals d’été (c’était déjà sa huitième date du mois d’août) en jouant toujours les mêmes chansons – forcément –, mais il ne s’est à l’évidence pas encore lassé. Enorme présence et énergie positive comme toujours au programme.
Seul représentant du « canal historique » de la Route du rock, Stereolab restait le groupe le moins facile à cataloguer de cette édition, ni folk indé, ni psyché, ni rock énervé… Et sans doute l’un des plus passionnants musicalement. Plus court qu’à Villette Sonique, avec quelques petits problèmes de son, leur concert s’avérera néanmoins jouissif, mêlant singles évidents (“French Disko”, “Ping Pong”…) et titres moins connus, la setlist variant légèrement d’un soir sur l’autre. Une heure dans une autre dimension, conclue par une version allongée et cataclysmique de “Lo Boob Oscillator” pour saluer la pleine lune (le texte, en français, lui est en effet consacré) selon la toujours lumineuse Laetitia Sadier.
On est content pour les organisateurs que Tame Impala ait ramené du monde. On peut d’ailleurs noter qu’à l’instar de leurs compatriotes de Parcels, les Australiens touchent un public plutôt jeune sans forcément chercher à faire une musique dans l’air du temps. C’est sans doute le côté “néo-hippie” gentiment enfumé de Kevin Parker (le boss) qui plaît… Le concert démarre très fort, par le tube “Let It Happen” accompagné de vidéos qui en mettent plein la vue, de lasers et même d’une explosion de confettis. Après, ça se calme un brin, et si tout cela n’est pas désagréable, l’ensemble est assez lisse et pas toujours très stimulant. Comme il est de toute façon impossible de se rapprocher de la scène vu la foule, on déambule sur le site en écoutant d’une oreille distraite les morceaux pour la plupart tirés des deuxième et troisième albums, entre lesquels se glissent quelques extraits du prochain, imminent.
Que penser de Black Midi ? Apparemment, la question agite quelques festivaliers, ne sachant trop que faire des incessantes ruptures rythmiques, des textes marmonnés et des mines renfrognées des quatre Anglais. Tient-on là les King Crimson (circa “Red”) de demain, ou seulement de jeunes branleurs ne sachant pas vraiment écrire de chansons ? On attendra peut-être le prochain album pour se prononcer.
Pourtant seul en scène le plus souvent (deux danseuses genre majorettes munies de bâtons lumineux le rejoignent par moments), Jon Hopkins s’avérera plus captivant avec son electro méditataive et accueillante, tantôt planante, tantôt plus rythmée. Elle nous emmènera jusqu’à 2h du matin, et l’heure de lever le camp.
Vendredi 16 août
Après la conférence de Christophe Brault sur la new wave et le postpunk au théâtre Chateaubriand, intra-muros (démonstrations de air guitar, belle érudition musicale et extraits judicieusement choisis, comme toujours), direction la plage pour aller y pêcher un Superhomard. Sous un ciel couvert, la formation avignonnaise nous offre 45 minutes de pop tout confort à déguster allongé sur le sable, légèrement rétro mais surtout joliment écrite et arrangée. Dans un monde un peu moins sourd (ou peut-être au Japon), les enchanteurs “Springtime” ou “Paper Girl” seraient des tubes.
Sur la scène des Remparts, c’est Foxwarren, le quartette du Canadien Andy Shauf, qui lance doucement la soirée. Ce jeune homme effacé ferait passer Paul Simon pour Ozzy Osbourne, mais il écrit de bien belles chansons dans une veine folk-pop très classique, que le groupe interprète avec sobriété. Pas certain toutefois qu’une scène en extérieur dans un festival constitue le meilleur écrin pour ce songwriting délicat.
Sur la scène du Fort, on retrouve ensuite le White Fence de Tim Presley, déjà vu et approuvé quelques jours plus tôt à Petit Bain. En sextette fumeur, avec trois voire quatre guitares, le psychédélisme chancelant du récent album “I Have to Feed Larry’s Hawk”, entre Syd Barrett, Eno des débuts et Mayo Thompson (Red Crayola), gagne des muscles sans rien perdre de sa séduisante étrangeté. Pas forcément d’un abord très immédiat, ce rock garage hanté est indubitablement original.
Suivra l’un des moments les plus réjouissants de cette Route du rock, dans un genre jamais représenté dans le festival (ce qu’il y avait eu de plus proche, c’était sans doute Natacha Atlas il y a quelques années, comme le rappelait le programmateur François Floret lors de la conférence bilan). Le groupe néerlando-turc Altin Gün remet en effet au goût du jour « l’âge d’or » (traduction de son nom) de la pop psyché anatoliene des années 70, avec saz (sorte de luth) électrifié et claviers orientalisants un peu kitsch. Sans prétention mais extrêmement bien ficelé et joué au cordeau, le résultat est tout bonnement irrésistible. La chanteuse ne cachera pas son agréable surprise en voyant le public à la limite du pogo et du slam, malgré la pluie. Un groupe qu’on a envie de revoir très vite.
L’enchaînement est idéal avec Hot Chip, qui quinze ans après ses débuts reste l’une des plus belles machines à danser du circuit. Pendant 1h10, les Anglais, en grande formation et tenues comme toujours improbables (mention spéciale au chapeau « gruyère » d’Alexis Taylor), nous offrent un best-of idéal (“Over and Over”, “One Life Stand”…) mêlé à des extraits du nouvel album. Pour leur traditionnelle reprise inattendue, leur choix s’est porté sur le génial “Sabotage” de Beastie Boys : peut-être pas aussi explosif que l’original, mais très réussi. Sur deux morceaux, des enfants, que Taylor nous présentera comme les « Microchips » (ah ah!), rejoindront les musiciens sur scène et danseront avec une gaucherie attendrissante. Toujours aussi euphorisant, et musicalement irréprochable.
Les nouveaux venus de Crows, sur la scène des Remparts, s’avèrent nettement plus saignants. S’ils sont proches d’Idles (ils sont signé sur le label Balley Records de leur chanteur Joe Talbot), ils leur manque les gros refrains défouloir et le côté bordélique de leurs aînés. Chez eux, le rock est sombre, dur, lourd et monochrome, comme leurs clips. Si les chansons ne restent pas forcément en tête, le groupe impressionne par son engagement, notamment le très charismatique chanteur James Cox.
Remplaçant, si l’on peut dire, Beirut, les 2ManyDJs livrent un de ces mix improbables qui ont fait leur réputation. Pas si différent, au fond (malgré une technique et une collection de disques uniques), que ce que font depuis des années les trois Magnetic Friends pendant les changements de plateau (et eux, en bons ex-auditeurs de Lenoir, passent les sublimes Toasted Heretic, chaque année ou presque).
Bizarrement, alors qu’il aurait sans doute été plus logique de continuer avec un set d’electro, on retourne au rock plutôt dur avec le collectif de Vancouver Crack Cloud, mené par un chanteur batteur placé au milieu de la scène, Zach Choy, et composé en partie d’ex-addicts. Leur post-punk funky et syncopé, particulièrement intense, intrigue d’abord, convainc peu à peu et nous achève sur le dernier morceau, l’imparable “Swish Swash”, où le groupe semble au bord de l’implosion. On espère un vrai premier album et d’autres concerts, car le potentiel est grand.
Dimanche 17 août
A 16h, c’est avec Laure Briard vêtue d’une curieuse robe-parka qu’on a rendez-vous sur la plage. Bien entourée, la jeune femme fait mouche qu’elle chante en français, en anglais ou même en portugais. Psyché, rock sixties, néo-yéyé et bossa, les ambiances sont variées, de bon goût mais sans chichis, à l’image de la chanteuse partagée entre mélancolie et extase. Laure s’adresse à nous avec beaucoup de simplicité et nous laisse sur une étrange ballade cosmique, morceau éponyme de son dernier album, “Un peu plus d’amour s’il vous plaît” – on lui offre avec plaisir.
Au Fort, on découvre une autre chanteuse de talent, qu’on connaissait jusqu’ici surtout comme brillante guitariste : Meg Duffy alias Hand Habits, déjà vue ici en compagnie de Kevin Morby (elle nous racontera qu’ayant raté leur avion, les membres du groupe étaient arrivés à Saint-Malo complètement jetlagués et épuisés, et qu’elle était cette fois-ci beaucoup plus reposée…). En trio guitare-basse-batterie (apparemment, une claviériste-choriste complète habituellement la formation), elle joue les belles ballades de son deuxième album “Placeholder”, émaillées de solos impeccablment exécutés. Idéal pour un début de soirée.
La pluie qui avait commencé à tomber pendant le concert de Hand Habits nous accompagnera malheureusement jusqu’au bout de la nuit, mais la musique saura nous le faire oublier. La météo ne semble en tout cas pas trop assombrir l’humeur de l’imprévisible Bradford Cox, cerveau de Deerhunter, qui nous dira préférer ça aux lourds étés new-yorkais (si l’on a bien saisi). En solidarité avec les festivaliers encapuchonnés, il finira même par enfiler par-dessus sa magnifique chemise de pimp un ciré jaune, très seyant et assorti à sa guitare (l’autre guitariste ayant, lui, opté pour le turquoise). Curieusement, la setlist délaisse le dernier album au profit de disques plus anciens, notamment l’excellent “Halcyon Digest” de 2010, pour le plus grand bonheur des fans. Un très bon moment.
Le groupe Pottery, dont on savait seulement qu’il venait de Montréal et avait sorti un gros EP enregistré quasiment live en studio, livre ensuite l’un des concerts les plus mémorables de cette édition. Si l’esprit est plutôt garage rock, la musique, rythmée voire frénétique, évoque beaucoup le New York du début des années 80, Talking Heads ou Feelies. Les cinq musiciens, au taquet, semble prendre un plaisir énorme à être ensemble sur scène. On attend la suite avec impatience.
Changement d’ambiance avec les méconnus Growlers de Californie, pourtant formés il y a une douzaine d’années et auteurs d’un paquets d’albums sur des labels culte comme Burger Records. Ce qui expliquait peut-être pourquoi on leur avait attribué une tranche d’une heure. Le sextette a un beau son, entre pop, surf, et garage avec quelques effluves latins, un chanteur très décontracté et des chansons bien fichues avec beaucoup de texte… mais il peine à captiver sur la longueur. Surtout sous la pluie.
Metronomy, qui leur succède sur un plancher lumineux, n’aura pas ce problème. Hormis la demi-douzaine de titres extraits de “Metronomy Forever”, nouvel album pas encore sorti, et le méconnu “You Could Easily Have Me” en clôture, tiré du tout premier, il n’y a que du tube : “The Bay” (qui n’est pas une reprise de Clara Luciani), “Heartbreaker”, “Love Letters”, “Everything Goes My Way”… Le quintette apparaît complice, et si Joseph Mount est toujours seul maître à bord, on apprécie la contribution des musiciens, notamment le clavier Oscar Cash. L’ensemble est sans grande surprise, mais tout à fait plaisant.
Suit la traditionnelle chenille… et ce sera tout pour nous, parce qu’il pleut toujours. Rendez-vous l’an prochain, sous le soleil espérons-le !