La trajectoire de Flotation Toy Warning a pris à ses débuts la forme d’une ligne droite, égrenant des EP flamboyants, “The Special Tape” et “I Remember Trees”, avant d’emprunter celle d’une courbe avec la maestria bancale de l’immense “Bluffer’s Guide To The Flight Deck” et son morceau fleuve “Donald Pleasance”, hommage à l’acteur qui fut politicien, psychiatre et prêtre chez John Carpenter. Et puis plus rien ou presque pendant treize ans, jusqu’à un deuxième album trempé dans la même étrangeté onirique, “The Machine That Made Us”, que l’on s’attendait à (re)découvrir sur scène en 2017. Pour des raisons de santé, le concert avait finalement été reporté au 29 mai dernier. Autant dire que l’impatience et l’émotion étaient quasiment palpables ce soir-là dans un Petit Bain bien plein.
La scène pourrait être à l’ombre d’un jardin qu’on y verrait pas la différence. Le calme est de rigueur pour écouter la musique de Raoul Vignal, en équilibre comme une brise. Ses doigts effleurent délicatement les cordes de la guitare, le fingerpicking est comme suspendu en l’air. Sa voix reste en retrait, comme si elle ne pouvait faire autrement, elle semble chanter pour une personne absente, avec une belle mélancolie. L’orchestration de Raoul Vignal est à la fois minimaliste et essentielle : un vibraphone discret, une contrebasse placée sous l’héritage précieux de Danny Thompson et quelques coup de batterie ici ou là. Cette première partie est malheureusement de courte durée, donnant très envie de revoir très vite cet artiste signé (comme les Britanniques) sur le label bordelais Taltres, et auteur récemment d’un superbe deuxième album, “Oak Leaf”.
Les musiciens de Flotation Toy Warning sont de ceux qui semblent jeter en vrac des arrangements complexes pour les assembler en de grands puzzles mélodiques aux mille petits détails. Les pédales d’effets et des feuilles volantes noircies de notes ont beau occuper une bonne partie de la scène, le groupe sait travailler l’épure et le silence. Les compositions prennent leur temps pour se déployer, et il faut quelques morceaux avant que le concert ne se mette à tutoyer des sommets, ce qui n’est pas très grave : ne nous ont-ils pas habitués à la patience ? “Popstar Researching Oblivion” lâché en début de set est peut être encore un peu maladroit, mais la voix de Paul Carter trimballe toujours ce truc totalement émouvant qui ferait fondre en larmes les plus cyniques d’entre nous.
Flotation Toy Warning prend son envol avec le sublime “Losing Carolina ; For Drusky”, ballade traversée par des samples de radio et de chanteur d’opéra, des claviers aux allures de clavecin et des guitares minimalistes, insufflant tranquillement une respiration de l’intime. N’offrant aucun titre inédit (si ce n’est une touchante version en français du court morceau “Made from Tiny Boxes”, Paul Carter présentant d’ailleurs la plupart des morceaux dans notre langue), le concert se termine avec les quinze minutes de “The Moongoose Analogue” tiré du deuxième album, véritable mille-feuille pop dont chaque phrase mélodique s’étire jusqu’à se loger indéfiniment dans les derniers rhizomes de notre cerveau. En rappel, Paul Carter revient d’abord seul, chantant a capella (frissons dans le public), avant d’être rejoint par ses camarades pour le fameux “Happy 13” et un ultime morceau sur lequel quelques spectateurs invités à monter sur scène assureront les chœurs. Espérons qu’on n’aura pas à attendre encore quinze années pour revivre de tels moments de grâce !