On aime beaucoup Cléa Vincent (et ce depuis les Ep). Je devrais dire malgré tout parce que sa générosité, sa fraîcheur, son absence de préjugés musicaux nous imposent des sons et des modes de production mélodique longtemps honnis (refusés même) dans les tablettes de la Sainte Pop française. C’est ce qui me rend a priori perplexe et mes œillères sonores sont toujours promptes à rejaillir, surtout après une cure intensive de Schönberg (période atonale ET tonale). Elli & Jacno cachés sous des masques de robots, OK. Mais le flirt prolongé avec Ace of Base, tout de même ? Eh bien oui, finalement, je prends tout. Si on perd un peu le côté électro lo-fi bricolée du début, on gagne beaucoup en puissance de danse, de dance donc, et pas mal de bpm aussi. Le curseur s’est donc un peu déplacé sur l’axe du temps, s’est rapproché des années 90, 2000, Daft Punk, la house, le Daho techno un peu aussi (« Nuits sans sommeil »). En écoutant le disque, j’ai des souvenirs honteux (forcément) de la fratrie Winter, aux yeux pétillants de poudre, disséquant sur M6 les mouvements de musique électronique et les classant selon leur bpm… On est loin de la seconde école de Vienne.
Je note une nouvelle coquetterie de Cléa sur ce second album : lisser sa voix au maximum pour faire presque disparaître ses textes sous son électronique méli-mélo-mélancolique. C’est prendre à rebrousse-poil les néo-habitudes de traitement des voix et sans doute renforcer le côté physique et charnel de sa pop tout en lui donnant ce côté angélique, éthéré, toujours magique de la voix humaine chère à Poulenc.
Comme quoi Cléa est loin d’être uniquement une poupée de sons des années synthétiques même si elle aime toujours autant décrire son monde et son temps techno-virtuel (« Au Phone », « IRL »), pas forcément maudit. Pas forcément tout rose non plus, malgré les paillettes et les couleurs pastel. « Dans les strass », titre presque italo disco, fait surgir des rêves Champs-Elysées (pas ceux des Gilets jaunes, celui de Drucker), de Donna Summer et Véro Samson, de Kim Wilde et Lolo Voulzy.
Comme avec Nicholas Krgovich, le cousin américain de Cléa (ADN partagé sur « Le Soleil dans la mer » presque échappé de « On Sunset »), on sent que la mélancolie infuse mieux sous le soleil alors que « Dans les strass » ou « Nuits sans sommeil », l’autre tube, ont le goût amer acidulé rohmérien des « Nuits de la pleine lune », thème récurrent chez Cléa (cf le feat. de Katerine à la Cigale), ou de « L’Ami de mon amie ». Comme chez Rohmer, avec Cléa, l’amour triomphe toujours (« Maldonne », chouette featuring du copain Voyou) et les filles sont au centre (addictif « Sexe d’un garçon »). Elle pratique même l’ontologie pop ensoleillée (« Ceux que nous sommes »). Superficialité d’apparence et profondeur, c’est ce qu’écrivait Eric Rohmer sur la musique de Mozart et de Beethoven.
Allez, fais péter les enceintes et laisse-moi kiffer la vibz avec Manu (Le Malin) Kant et rêver à mes « Nuits sans sommeil » enterrées il y a bien longtemps.