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Interviews

Mark Perry (Alternative TV) : « Je ne pense pas avoir écrit une chanson qui ne soit pas sincère » (1/4)

Beaucoup n’ont vu en Alternative TV qu’un groupe punk ’77 culte qui, après un petit succès (“Action Time Vision”), avait ouvert trop vite la voie au post-punk avec son deuxième album. Après une tentative ratée d’intégrer le mainstream (“Strange Kicks”), l’histoire aurait pu en rester là lorsque le guitariste Alex Fergusson décida de rejoindre Genesis P. Orridge pour former Psychic TV. Mais le leader d’Alternative TV (et ancien rédacteur en chef du mythique fanzine punk “Sniffin’ Glue”), Mark Perry, n’était pas du genre à abandonner. Il est ainsi devenu le secret le mieux gardé du punk, affirmant dans les quatre décennies qui ont suivi un talent d’auteur unique. Après une longue pause discographique, Alternative TV a sorti l’excellent “Opposing Forces” en 2015. Pour la promotion de son dernier EP, “Dark Places”, le groupe a donné à Londres un de ses rares concerts, avant, on espère, d’enregistrer un nouvel album l’an prochain. Ce fut pour nous l’occasion de nous entretenir longuement avec Mark Perry, dont la parole est particulièrement rare.

Première partie : “Why the drama, why the tears?”

live 2

Café OTO, Londres, un vendredi après-midi. Le lieu, réputé notamment pour ses concerts de musiques improvisées, se transforme, passant d’un grand salon de thé à une salle de concert. Dave Morgan, le batteur (autrefois dans The Loft et les Weather Prophets) aide à installer la scène, tandis que Clive Giblin, le guitariste (Sol Invictus / Crisis) et Lee McFadden à la basse, accordent leurs instruments. Ils jouent quelques accords et ensuite Mark Perry les rejoint pour répéter un de leurs titres les plus extrêmes, ‘Scandal’: “Don’t stop now, you gotta keep the camera rolling. Don’t stop now, you gotta keep the violence flowing. Don’t stop now, you gotta keep the truth burning.” (N’arrête pas maintenant, laisse la caméra tourner. N’arrête pas maintenant, laisse la violence couler à flots. N’arrête pas maintenant, laisse la vérité brûler) Ses paroles transmettent des pensées intéressantes et directes sur la vie, la mort, le sexe.

Je pense qu’un sentiment général que j’ai est l’auto-analyse et tout ça. Je veux dire, la plupart des gens blâment la vraie vie, n’est-ce pas?!” explique Mark. “Ils réagissent aux choses et peu de gens prennent le temps de s’asseoir et de s’observer dans le miroir, c’est un vieux truc mais… Je suppose que dans mes chansons, j’essaye de mettre ça en avant. Nous avons tous ces peurs qui nous retiennent et je crois que cette chanson [‘Her Dark Places’] est au sujet de se mettre à nu, d’affronter ses peurs, et être en lien avec ces sortes de zones sombres. C’est comme se débarrasser de toutes ces conneries, de tous ces pièges, et bref… être en contact avec nos sombres recoins, leurs sombres recoins. Je suppose que c’est comme une vue existentialiste. C’est une super-réalité, une super-conscience de soi. Je pense que pour quiconque est totalement conscient de son existence, ce qu’est la vie, c’est plutôt sombre. Je crois que j’essaye, au travers de mes chansons, d’être en lien avec cela.

Par exemple, “The Visitor[de l’album ‘Opposing Forces’] ce qui est intéressant au sujet de cette chanson, c’est au sujet de ce sentiment de l’existence. Mais juste au moment où vous claquez des doigts, vous…. en quelque sorte…. hum… Il y a cette histoire de HP Lovecraft et ce sont des gens qui ignorent qu’ils sont morts, et donc ils essayent de communiquer avec les gens. Et finalement ils réalisent qu’ils sont morts; c’est de ça que ‘The Visitor’ parle… Ça n’a rien de morbide. J’ai juste mis le doigt sur un sujet intéressant… cette idée en quelque sorte entre la vie et la mort. Je traite de cela, et j’aime bien, j’aime explorer ces choses-là. C’est ce que j’ai fait depuis des années; je l’ai fait depuis ‘Another Coke’ et ‘Love Lies Limp’.

Pour résumer, Mark dit: “J’aime au travers de mes paroles parler des aspects sombres… mais pas d’une manière idiote! Je ne veux pas dire que la vie c’est de la merde, car tout de la vie n’est pas merdique, je veux dire il y a des choses merveilleuses – j’ai des enfants et tout. Mais en quelque sorte, j’aime embrasser cela, embrasser ces ténèbres. Et si vous remontez déjà à ‘Death Looks Down[de l’album solo ‘Snappy Turns’] c’est déjà le cas. Je n’affronte pas cela au travers de la réalité, il ne s’agit pas d’avoir peur de la mort, mais plus d’etreindre cette partie de l’existence.

Ce soir le concert débute par deux morceaux “existentialistes”. Tout d’abord la chanson éponyme de l’album de 2015, ‘Opposing Forces’, et puis le single de l’an dernier ‘Negative Primitive’. Ces chansons traitent de la condition humaine, mais semblent manquer d’optimisme.
Peut-être ai-je une piètre opinion des gens vous savez. (rires) Mais ça semble fou parce que nous ne sommes pas parfaits et nous devenons obsédés par ces choses. Vous savez, toutes sortes de choses, nous devenons pire et c’est ça le truc. Nous sommes de plus en plus détachés de ce que c’est que d’être humain. Vous savez, c’est comme dans ‘Negative Primitive’. ‘Nous attendons à la porte’, qu’est-ce que c’est? pour quoi et pourquoi attendons-nous? combien encore avons-nous à attendre? mystère. C’est sensé être un jugement dans ‘Negative Primitive’. Bien, regardez-les, regardez-les, vous voyez ce que je veux dire: regardez-nous. Nous sommes de pire en pire en tant qu’humain, n’est-ce pas? Nous sommes de plus en plus loin de l’idée de croire en quelque chose et de s’y tenir. Plus personne ne crois plus en quelque chose désormais.

Alors, quelle serait votre croyance ? Aurait-elle à voir avec la religion? “Pas du tout, je ne l’ai jamais été [religieux] car mes parent n’allaient pas à l’Église; ils n’étaient pas du tout religieux. J’ai toujours été un pur athée, toujours. Donc, je n’ai jamais eu de questionnement personnel à ce sujet, vous savez, comme ceux qui s’interrogent sur leur foi, et tout. Donc, quand je chantais ‘j’ai perdu ma foi’ [sur ‘Let’s Sleep Now’ de l’album ‘Peep Show’ de 1987], en quoi la foi était-elle? je l’ignore. Certainement pas dans la religion, je n’ai jamais cru en Dieu ou quoi que ce soit de ce genre.
“Donc, je ne sais pas
[au sujet de ma croyance], je pense juste avoir une certaine lucidité au sujet des choses. Vous savez, je ne pense pas que les gens aient cela. Je pense que les gens sont faibles; je pense qu’ils ne répondent pas vraiment de à quoi ils croient, ils esquivent.
“Et j’ai essayé d’être très honnête. Je ne pense pas avoir écrit une chanson que je ne crois pas être sincère. Sauf peut-être quelques morceaux punk au début. Mais même si vous prenez un morceau comme – parmi mes premiers – ‘Splitting In Two’, c’est une chanson si personnelle, et encore une fois je ne me suis pas trompé en l’écrivant, car c’était à propos de moi. Vous savez, c’est toujours d’actualité. C’est le dilemme entre ce que je suis et tout ça. Donc, je n’ai jamais écrit une chanson de manière malhonnête. Quand on pense à des trucs du genre ‘Another Coke’, la face-B, je suis totalement sincère. J’improvise juste. Je n’ai jamais été effrayé de faire cela. Je pense que le plus proche que j’aie été d’un morceau punk typique, que j’aie écrit au sujet d’un thème qualifié de punk, pourrait-être ‘Life’, parce que ça parle de pointer au chômage, mais même ça c’est déjà original. Dans ‘How Much Longer’ par exemple c’est en quelque sorte une critique de la scène, donc déjà dès le début je nous mets en dehors de cela. Vous voyez, il y a la scène punk dont je fais partie, mais notre premier single consiste à dire que nous n’en sommes pas parce qu’on est à côté et donc on la critique.


“J’aime penser que nous, ATV, avons été originaux. Des forces créatrices originales. Je ne ferais jamais une chanson si je ne croyais pas vraiment en elle. Je sais que cela peut sembler un peu prétentieux de ma part mais certains morceaux que nous avons faits, comme sur ‘Peep Show’, sont justes. J’aimerais que plus de gens puissent entendre cela. Parce quand vous entendez parler, quand vous lisez au sujet de quelqu’un qui a “écrit de très grandes chansons et tout ça”, je sais que ça peut sembler prétentieux mais je pense “oh, mes chansons sont meilleures que ça”, je veux dire mes paroles sont plus intéressantes que celles d’autres…

C’était en effet le sentiment que j’ai eu lorsque j’ai découvert pour la première fois l’impressionnant back-catalogue d’Alternative TV et Mark Perry. Un auteur talentueux, mais qui a reçu peu de reconnaissance pour ses travaux. Contrairement à ses pairs, ses textes ne sont pas matière à débat sur des sites comme Song Meanings, et Alternative TV reste principalement connu pour avoir été un groupe punk ’77. “Je n’en veux pas aux gens d’une certaine manière, parce qu’il n’est pas possible de tout écouter. Il y a un paquet de groupes, et personne n’est sensé…. Beaucoup de gens ne connaissent simplement pas. Ils ne connaissent pas ‘Peep Show’, ils ne connaissent pas ‘Punk Life’, ils ne connaissent pas ‘Dragon Love’ et tout ça. Les gens connaissent uniquement ‘The Image Has Cracked’, ils trouvent qu’on est devenu un peu bizarre sur ‘Vibing Up The Senile Man’, puis ‘Strange Kicks’, cet album poppeux marrant, et c’est tout. Depuis ‘Opposing Forces’ nous suscitons un peu plus d’intérêt parce que on a été chroniqué, vous savez. Donc, nous avons été négligés, vraiment, négligé, n’est-ce pas? ATV a été négligé… (rires)”

Lire la deuxième partie.

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