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Disques

Watine – Géométries sous-cutanées

 Watine - Géométries sous-cutanées

Se remettre à l’œuvre est en soi parfois périlleux, mais si l’on se paye le luxe de révolutionner ses propres univers, cela démontre, entre autres choses, un profond attachement à l’art que l’on exerce. Catherine Watine, après un dernier album qui flirtait avec la chanson française et le folk ombragé et ouvragé, revient avec un disque empli de lumières et d’espace. Elle a tout à coup quitté les recoins boisés pour s’offrir des horizons aussi étendus que délicats.

La première de ces révolutions tient au fait qu’elle propose dorénavant une musique presque totalement instrumentale. En effet, à l’exception de deux titres aux textes parlés, elle ne pose aucune voix. Par ailleurs, elle a cette fois opté pour un virage musical étonnant et audacieux en abandonnant totalement le format pop pour de longs titres qui mêlent avec délicatesse électronique, post rock, classicisme racé et incursions expérimentales. Mariant avec aisance différentes influences, Watine développe ses propres sonorités sans balise et sans fard. 

“Over Freeways” ouvre l’album sur un fracas impérial de piano qui résonne comme l’éclaireur qui ouvre le chemin en avant-poste. Rapidement, les enchevêtrements se profilent, comme des dizaines de branches qui défilent le long des routes, et se dessinent alors les motifs savamment confectionnés pour ce qui va rapidement s’avérer être une fresque globale. En effet, dès les premières minutes, il est évident que Catherine Watine propose, plus encore qu’un disque, un billet pour un périple au long cours où nous croiserons de multiples reliefs. Pleuvent alors les cordes, les claviers cotonneux et les rythmiques décalées pour nous inciter à nous abriter sous son aile bienfaitrice. 

“Sheer Power”, qui suit, poursuit l’ascension grâce à une ritournelle obsédante jouée au piano et soutenue par des arrangements rageurs.  Les atmosphères s’enchaînent sans temps mort, comme sur le magnifique “Undying Pizzicato” où l’artiste n’hésite pas à convoquer John Barry pour enfoncer le clou et dérouler une musique intemporelle et définitivement cinématographique. 

A l’heure des disques trop vite digérés, des musiques trop calibrées, certains artistes misent encore sur l’attention de l’auditeur, et sur sa capacité à tendre une oreille vers des musiques plus exigeantes et non moins évidentes pour autant. Car si le format des morceaux a de quoi surprendre, les mélodies, elles, apparaissent telles des étoiles au fond des cieux pour s’accrocher à vous après quelques écoutes.

Catherine Watine alterne les ambiances, et les arrangements complexes ou fluides où parfois les notes se bousculent pour délivrer quelques secondes de silence mais s’emploient à maintenir l’ensemble en place en disséminant des harmonies profondes et riches ou des dissonances fantomatiques à l’image de “Melancholia My Love”, en suspens permanent. Il faut attendre le foisonnant “Lovesick” pour l’entendre déclamer son premier texte (en français) sur une musique électronique où se perche une note qui tire l’ensemble vers le haut pendant que le piano brode des nervures sautillantes, ouvrant ainsi la rythmique qui ramène l’ensemble vers l’école allemande des années 70. Au travers de textes poétiques, littéraires ou philosophiques, les mots s’évaporent peu à peu, mais nous ramènent bien vite à la réalité.

Malgré tout, l’album comporte aussi son lot de profonds dépaysements, à l’instar de “Raining Bees” qui nous embarque littéralement vers le Sud. Pourtant, les arrangements gardent le cap vers une ère électronique et rêche sous les roulements qui ne sont pas sans rappeler les contours islandais. Décidément, Catherine Watine ne tient pas en place et souhaite visiblement nous faire voyager le plus possible. Le but est largement atteint, et à force de se faire embarquer de rives en nuages, de plages en montagnes, et de contrées en décalages, on termine en toute logique en plein “Jetlag”.

Cette symphonie de poche d’un quart d’heure conclut avec maestria ce trip ininterrompu aux figures classiques, électroniques, contemporaines ou pop. La douce atmosphère que distille Catherine Watine, au sein de sa musique et de ses textes, nous permet d’arpenter les mille saveurs d’une vie parfois belle et sereine, parfois complexe et chahutée, mais toujours empreinte de cette chaleur humaine qui réchauffe les cœurs, isolés ou qui vont par paires, que ce soit accompagnée d’une note de piano ou d’une cohorte de machines. Comme un réconfort… sous-cutané.

Jack Line

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