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Disques

J Mascis – Elastic Days

J Mascis - Elastic Days

Entre J et nous, ça a failli être la rupture. Ça s’est produit lors du dernier concert de Dinosaur Jr à Stockholm pour la sortie de « Give A Glimpse of what yer not », pendant lequel il n’avait, malgré les appels répétés du public, rien fait pour arranger un problème de son de micro. Lou Barlow avait bien tenté d’apaiser le truc mais J s’était enferré dans son mutisme, avait encore plus que jamais continué à marmonner ses textes entre ses dents, quand il n’arrêtait pas simplement de chanter avec son regard mi-hagard, mi-défiant des grands jours. Je ne suis pas pour les stands à textes mais là, j’en aurais presque souhaité un. Ca n’aurait sans doute rien changé puisque J avait même décidé d’enlever ses lunettes pour se myopiser le public… et certainement aussi ses « camarades » de jeu. J a un certain potentiel d’agacerie qu’il ne manque jamais d’utiliser… On s’était juré ce soir-là que c’était la dernière fois qu’on paierait pour voir Mascis en concert (on avait déjà deux mauvais souvenirs de ses concerts solo, assourdissants – de la gnognote comparé à Dino, certes – et donnés par la fée Carabosse du tricot de guitare assis et mutique comme jamais : un calvaire), sans compter Murph plus boulanger tâcheron aux multiples pains que solide bûcheron.

Pourtant, dès l’annonce d’un nouvel album solo, on se surprend à l’acheter comme un zombie tant on a aimé « Several Shades Of Why » et « Tied to A Star » (malgré ou à cause de ses indienneries). Avant de payer la dose, on demande quand même au patron de Pet Sounds (le meilleur magasin de disques du monde, dixit Tarantino…) s’il est bon. Un sourire illumine son visage habituellement de glace tandis qu’il agite sa main sur la panse devant sa chemise country en mimant un frotté de cordes et en disant « oui c’est très… ». Tout est dans ce très resté suspendu. On pourrait dire que c’est du folk pépère, de la guitare de feu de camp de boy scout car, oui, c’est le plus classique des trois albums solo que J nous ait donnés. Et pourtant on serait loin du compte car J a la magic touch, la classe américaine, le don de pondre des tubes en or, de transformer l’énergie du désespoir en power ballads, et ça fait trente ans que ça dure.

C’est ça qui est agaçant finalement, parce qu’il écrit vraiment de bonnes chansons, avec de très chouettes textes, et que cette grosse baleine autiste est sacrément touchante. Quand il veut bien le montrer et le donner à entendre (« See you at the movies »). C’est d’ailleurs le thème de l’album : la fragilité, la fuite du temps et la sensation de la perte qu’elle occasionne (« Give it off »).

J est donc, une fois encore, l’homme du paradoxe parce qu’il produit toujours autant et est toujours aussi entouré, preuve qu’il doit être, même si c’est dur à croire, un tant soit peu… sympathique ? Du moins dans l’intimité. On retrouvera aux rangs changeants des invités de J : Pall Jenkings de Black Heart Procession, Mark Mulcahy de Miracle Legion et, notamment, Ken Miauri aux claviers. C’est d’ailleurs là que se trouve le changement majeur du disque : on entend davantage les claviers et le piano, un peu partout. C’est assez, sur un disque au milieu duquel J Mascis trône, pour déclencher l’étonnement et l’attention. Autre point remarquable : J tient les fûts. Et il a fait des progrès depuis ses apparitions comme batteur de MV & EE, où son jeu était égal à son enthousiasme scénique. Ce ne sont pas les notes de pochette qui nous l’apprennent (minimum syndical mais beau vinyle translucide et… légèrement violet bien sûr, comme il se doit) mais le texte de Byron Coley sur le bandcamp. J a enregistré les parties de guitare puis la batterie, et enfin le reste. D’où les structures simplifiées sans doute.

Dernier point, et non le moindre, J a pris des cours de chant ! Dire que c’est flagrant, tout comme pour ses progrès à la batterie, serait mentir, mais c’est vrai que c’est un peu plus clair que les marmonnements et autres geigneries auxquels nous sommes habitués et que le mix lui fait une part belle. Tout effort venant de ce vieux menhir est bon à prendre.

Evidemment, comme sur le précédent, J ne peut s’empêcher de glisser quelques soli de guitares électriques tels la petite éruption finale du tranquille « I Went Dust ». Doit-on s’en plaindre ?

Concluons : « Elastic Days » est un très sympathique album, qui ne restera sans doute pas dans les annales, mais dont on doit goûter toute l’immédiateté ici maintenant et avec grand plaisir, et se repaître des tubes, « Cut Stranger », « Sometimes », « Sky Is All We had » ou encore « Elastic Days » (tout un programme sans doute partagé par la fraction gauche de l’armée des Gilets Jaunes …), tout en reconnaissant une certaine honnêteté et acuité à un vieux songwriter, lui non plus peu disposé à déposer les armes.

Comme il le chante sur « Web So Dense », rappelant le « Here » de Pavement, repris superbement par Tindersticks en son temps : « Waiting for success, I been offered less. Does the trying pay? »

Mais oui, J ! Et on est même réconcilié : on ira te voir en concert puisque tu as promis que sur ta tournée solo, tu ferais un effort et que tu te mettrais debout.

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